En voilà un titre mystérieux ! On se doute bien qu'après Les Cigares du Pharaon, Tintin va poursuivre sa promenade orientale vers la Chine. Mais de là à s'imaginer qu'un Lotus Bleu sera la clé de l'énigme !
Nous voilà donc à Shanghai ! Et ça brasse pas mal, Shanghai, dans les années 30. Autant le dire tout de suite : le dessin est souvent très sobre, trop sobre à mon goût, mais le scénario est franchement travaillé !
Hergé met carrément en scène un vrai évènement historique majeur : l'attentat de Mukden, déclencheur de l'invasion de la Mandchourie (chinoise) par les japonais. Alors évidemment, pour les besoins du scénario, c'est un peu plus proche de Shanghai que Mukden, mais l'idée est bien là ! Pointilleux ce
Hergé !
Graphiquement, disais-je, c'est plus dépouillé que les Cigares. Evidemment, on peut retenir les superbes dessins de Shanghai ou de Hou Kou, qui occupent parfois plus de la moitié d'une planche, et qui plantent merveilleusement le décors. Mais en règle général,
Hergé a rendu les rues, les intérieurs, la campagne, très sobres. Peu de décorations, souvent de l'uni. Ca tranche évidemment avec la luxuriance de la foret indienne ou le foisonnement du tombeau égyptien que Tintin vient de parcourir. Et dans la droite ligne de mon explication pour les Cigares, « albumisés » en 1955, il faut chercher la raison dans la modernisation précoce du Lotus qui intervient en 1946, bien plus tôt donc ! Là aussi, ceci explique cela ! On retiendra néanmoins les drôles de dents des japonais qui, du coup, sont facilement reconnaissables … . Ca tombe bien, ce sont les méchants !
Reste évidemment le scénario. Les cigares avaient très bien posé l'intrigue : un trafic d'opium sur fond de poison qui rend fou ! Tintin dispose donc de 60 pages pour passer de l'Inde à Shanghai, que les japonais et les occidentaux de la concession internationale se partagent. Et au milieu, se promène notre reporter, tantôt à la recherche des odieux trafiquants menés par le discret Rastapopoulos et le fourbe Mitsuhirato, tantôt pisté par les dirigeants de la concession, Gibbons en tête, tantôt sur les traces d'un éminent savant qui sait guérir du poison qui rend fou.
Tout cela s'enchaine merveilleusement bien, entre courses poursuites, planques, échappades, emprisonnements et tout ce que James Bond a dû croiser dans sa carrière. Bon, dans Tintin, pas de place pour les femmes ! Et puis l'humour est porté par nos désormais fameux Dupondt. S'ils s'en tiraient à peu près sérieusement dans Les Cigares du Pharaon, ils sont, cette fois ci, parfaitement ridiculisés. Les voilà enfin dans leur meilleur rôle !
Notons qu'
Hergé politise franchement le Lotus Bleu, qui s'inscrit très clairement dans les conflits sino-japonais des années 30. En gros, les chinois sont les gentils, braves et un peu soumis, maltraités par les européens, envahis par les japonais. Un peu comme les noirs du Congo belge. Etrangement, personne n'a jamais crié aux clichés racistes. Etrangement … .
Une belle aventure donc, qui forme avec Les Cigares du Pharaon une histoire complexe et palpitante. La ligne claire d'
Hergé est fixée, la galerie de personnages s'étoffe petit à petit, ponctuée dans le Lotus Bleu par la rencontre de Tchang que l'on retrouveras bien plus tard à l'autre bout de la Chine.