DragonLance - Destinées, tome 1 : Dragons de la trahison

Par où commencer?
(Attention, j'ai fait cette critique avec des spoilers qui dévoilent l'intrigue.
Il y a à dire, je commencerai donc par l'illustration de la couverture. Au fil des années, cette série de fantasy m'avait habituée à des couvertures léchées, par la patte des illustrateurs de talent comme Larry Elmore puis Matt Stawicky. D'emblée, ce visuel est décevant, il nous livre certes un joli décor mais des personnages moyens et représentés sans finesse. Ca a son importance, les visuels des anciennes éditions étaient beaux (je parle des éditions Carrere puis Milady, désolée mais les éditions Fleure Noir avaient raté leur coup elles aussi).
Pour se remettre dans le contexte de la fiction à proprement parler et sans en écrire des caisses (ça va être dur), disons tout d'abord que ce roman sera un peu mieux compris si le lecteur a lu quelques trilogies précédentes dans cette même saga, à savoir la trilogie des chroniques et la trilogie des légendes et, dans une certaine mesure, le roman dragons d'une flamme d'été (4e volume officieux de la trilogie des chroniques). Tout simplement parce qu'il fait allusion à des événements qui se sont déroulés durant ces tomes, essentiellement la guerre dite "de la Lance"(guerre durant laquelle les "bons" et les "gentils" dragons se sont opposés, sur fond de retour des vrais dieux qui avaient déserté le monde) et fourmille de références qui seront mieux comprises par un lectorat habitué.
Alors, de quoi ça parle?
Cette histoire repart justement pendant la guerre "de la Lance" (il faut savoir que certains romans se passent bien après, mettant en scène les enfants, voire les petits enfants des héros des premiers volumes). Donc, on revient, en termes d'époques, aux fondamentaux. Durant cette fameuse guerre, une fille de chevalier, Destina Rosépine, perd progressivement tout ce qui faisait ses repères dans la vie: son père meurt au combat (durant une bataille restée prestigieuse dans l'histoire - et la trame des romans, aux côtés d'un héros connu), donc ne revient pas. Il oublie de faire suffisamment de copies du testament dans lequel il léguait son château à sa fille - erreur, puisque sans ce testament, étant une fille, en plus de ne pas pouvoir devenir chevalier, elle ne peut hériter.
Ce premier arc narratif est assez agréable à lire, les auteurs ont un style fluide et facile à dérouler.
Quand l'héroïne, Destina donc, fait le bilan de sa vie, elle n'a plus qu'une petite maison dans la capitale pour vivre (la ville de Palanthas) et une modeste rente. Elle ne sera jamais la Dame du château de Rosépine comme elle le souhaitait et ne fera pas le mariage initialement prévu avec le fils d'un riche marchand (elle n'est plus riche et elle n'a plus de château, donc elle perd tout intérêt). Et là, germe dans la tête de l'héroïne un projet ultra saugrenu, suite à quelques livres lues dans un livre de la bibliothèque paternelle : elle va remonter le temps juste avant la célèbre bataille et va empêcher son père d'aller au combat, donc de mourir.
Et là je me dit : aïe aïe aïe, on va avoir une histoire de voyage temporel. C'est ultra casse gueule en terme d'intrigues, risque de paradoxes, d'incohérences et j'en passe. Comme ce n'est pas un crossover, aucun Docteur Who dans sa cabine bleue ne va débarquer pour y mettre bon ordre, et pourtant la suite de l'histoire montre qu'il aurait été le bienvenu.
Déjà qu'une fille de chevalier, élevée dans la méfiance, voire le mépris de la magie, en vienne à concevoir un plan pareil, c'est en soi assez aberrant.
Avant de partir pour Palanthas donc, où elle compte commencer la mise en oeuvre de son projet, elle rencontre un gentil dragon de cuivre du nom de Saber. On devine vite que c'est la petite pirouette scénaristique qui lui permettra d'aller d'un endroit à l'autre du monde (le continent dans cette histoire s'appelle l'Ansalonie) en deux coups de cuiller à pot et quelques heures. En effet, Saber lui propose gentiment de l'emmener d'un coup d'ailes là où elle le souhaite.
Elle va donc rechercher deux artefacts très (très très) puissants pour remonter le temps : le premier, c'est la "machine à remonter le temps" , traduction que je trouve un peu lourde pour un objet qui a tantôt la forme d'un sceptre tantôt celle d'un pendentif (au passage, dans le lore de cet univers, qui a en parallèle été développé pour le jeu de rôles donjons et dragons, il en existe une, de machine à remonter le temps, c'est un gros dispositif métallique caché dans une pièce secrète sous une montagne - donc, cette traduction m'a gênée). Cet objet est un artefact, comprendre un objet très puissant donc. Dans la deuxième trilogie de romans originels (celles des légendes), l'un des héros, le semi-homme Tass, apprend à ses dépens qu'il ne peut transporter qu'une personne. Dans ce roman, elle nous envoie pas moins de quatre personnes dans le passé - cherchez l'erreur! (Ou alors c'est une version 2.0 et on ne nous l'a pas dit.)
Deuxième artefact (et je n'ai pas compris pourquoi il devait se rajouter au premier qui à mon avis, aurait suffi) : la gemme grise de Gargath, une pierre/gemme ultra puissante et consciente, qui abrite une sorte de titan originel que genre si on le libère, c'est l'armageddon. Dans le roman, dès lors qu'elle est en possession de l'héroïne, elle prend des petits airs d'anneau unique (elle a sa volonté propre et ses petits caprices). J'ai commencé sérieusement à tiquer quand l'héroïne trouve cette gemme à Thorbardin, le royaume des nains, et l'emporte avec une facilité déconcertante, vue la nature de l'engin. Un truc pareil, çà ne devrait même pas être trouvable, or l'objet est banalement coincé dans un mur dans un obscur temple en ruines. le gros n'importe quoi est en marche...
Quand à la machine à remonter dans le temps (sic), elle va la chercher auprès du semi-homme Tass (on les appelle "kender" dans cet univers), qui en fin de compte ne l'a plus. Cette recherche est l'argument qui permet au lecteur, via les yeux de Destina, de faire durant son voyage un petit coucou à un couple d'aubergistes et ancien aventuriers qu'on aime bien. Tass en revanche, m'a paru sérieusement lobotomisé, je m'explique : pour le convaincre de lui donner sa machine... Destina prend l'apparence d'une kender (elle a obtenu un objet magique à Palanthas pour changer son apparence pendant 12 heures). Comme elle a aussi un anneau d'amitié qu'elle lui donne, il tombe stupidement amoureux, laquelle stupidité ne le quitte plus jusqu'à la fin du volume, même quand Destina lui avoue qu'elle avait changé d'apparence. Je n'ai pas compris pourquoi les auteurs ont changé Tass, héros si attachant, en débile mental incurable.
Ce petit monde retourne à Palanthas, où il s'avère que se trouve maintenant la machine, que Tass utilise de manière inconsidérée : ils atterrissent au milieu de la première scène du roman d'origine (dragons d'un crépuscule d'automne), quand les héros se retrouvent dans une auberge -juste parce qu'il avait envie qu'elle rencontre ses amis. (Le roman actuel se déroule entre 5 et 6 ans après ces événements) Une fausse manip les fait remonter encore plus loin, cette fois environs mille ans en arrière, avant une autre bataille connue, et les faire rencontrer deux héros de légende - qui traversent les romans de cette série comme de prestigieux héros du passé). Sauf que dans cette fausse manip, ils ont emmené avec eux deux des héros qui étaient à l'auberge. le roman se finit sur l'incertitude des conséquences qu'aura ce voyage : en effet, si les humains ne peuvent pas en principe altérer le cours du temps, un semi-homme tel que Tass le peut.

Ce roman est à mon avis, un coup de "fan service", replongeant d'une manière un peu lourde dans une période de cette saga appréciée des lecteurs (les deux premières trilogie) et argument pour remettre en scène certains héros de cette époque, fort appréciés. Malheureusement, l'intrigue est à mon sens semblable à une mayonnaise qui ne lève pas. L'héroïne aurait pu être intéressante, d'autant que le début mettait assez bien en place son histoire. Mais à partir du moment où elle décide de remonter le temps (projet ultra casse gueule, mais elle ne pense qu'à revoir son père vivant), quitte pour cela à se procurer des objets magiques qui auraient dû en principe être totalement inaccessibles, l'intrigue et le personnage principal perdent en crédibilité - ce n'est pas parce qu'on est dans un monde de fantasy qu'il ne faut pas respecter une certaine cohérence. Résultat des courses, je ne me suis pas attachée à cette fille de chevalier qui, pour décider de remonter le temps, aurait dû se prendre un coup sur la tête dans le texte pour que ça fasse plus vrai.
Certains personnages secondaires de l'intrigue (qui sont pourtant des magiciens puissants) échouent à empêcher Destina de se procurer les objets et Tass de les utiliser. Avec tous les pouvoirs magiques dont ils disposent, c'est à croire qu'ils ont du mou de veau dans la tête.
Comme je le disais plus haut, Tass qui était un personnage vif et non dénué de bon sens, se retrouve lobotomisé et fait n'importe quoi. A mon avis un psykokwack aurait aussi bien fait l'affaire.
Bien que ce soit un texte agréable à lire, plus j'avance dans l'histoire, plus la déception est lourde, tant l'intrigue est risquée et pas du tout crédible - pourtant, elle prend place dans un monde imaginaire.
J'ai eu un aperçu de la suite par un résumé en anglais du volume 2, "Dragons of Fate", actuellement disponible sur kindle et à paraitre en aout aux Etats-Unis -sans doute est-il programmé chez nous, mais je n'ai pas trouvé de date. On sait que les héros projeté dans le passé vont y vivre quelques aventures, ressort scénaristique déjà exploité dans la deuxième trilogie de base de la série (les légendes). Moi je m'interroge plutôt sur la façon dont ils vont se sortir de cette belle panade, car en gros le roman met en place une situation qui est sacré foutoir.
Mais ce roman est quand-même agréable à lire (je l'ai lu jusqu'au bout sans difficultés), bien qu'il sera vraisemblablement plus apprécié par les connaisseurs que par celui qui ne connait rien à l'univers.