La vie est si curieuse, si surprenante, si nuancée et chaque tournant du chemin nous découvre une vue entièrement nouvelle.
Il faudrait effacer de l'intérieur tout le petit fatras bassement humain, toutes les fioritures. Une petite tête comme la mienne est toujours bourrée d'inquiétude pour rien du tout. Il y a aussi des sentiments et des pensées qui vous élèvent et vous libèrent, mais le fatras s'insinue partout. Créer au dedans de soi une grande et vaste plaine, débarrassée de broussailles sournoises qui vous bouchent la vue, ce devrait être le but de la méditation. Faire entrer un peu de "Dieu" en soi comme il y a un peu de Dieu dans la neuvième de Beethoven. Faire aussi entrer un peu d'"Amour" en soi, pas de cet amour de luxe à la demi-heure dont tu fais tes délices, fière de l'élévation de tes sentiments, mais un amour utilisable dans la modeste pratique quotidienne.
Cela m'a fait penser à ce juge romain qui disait à un martyr : "Sais-tu que j'ai le pouvoir de te tuer ?" Et l'autre : "Mais savez-vous que j'ai le pouvoir d'être tué ?"
(page 259)
Ainsi la vie est-elle un trajet d'un moment de délivrance à l'autre. Et je devrai peut-être souvent chercher ma délivrance dans un méchant morceau de prose, de même qu'un homme parvenu au fond de la détresse peut rechercher la sienne auprès de celles qu'on nomme si vigoureusement des putes, parce qu'il est des moments où l'on soupire après une délivrance, n'importe laquelle.
(page 94)
Dévorer des livres, comme je l'ai fait depuis ma plus tendre enfance, n'est qu'une forme de paresse. Je laisse à d'autres le soin de s'exprimer à ma place. Je cherche partout la confirmation de ce qui fermente et agit en moi, mais c'est avec mes mots à moi que je devrais essayer d'y voir clair.
(page 45)
Il n'y a pas de frontière entre ceux qui souffrent, on souffre des deux côtés de toutes les frontières...
Frappée d’une évidence soudaine : c’est ainsi que je veux écrire. Avec autant d’espace autour de peu de mots. Je hais l’excès de mots. Je ne voudrais écrire que des mots insérés organiquement dans un grand silence, et non des mots qui ne sont là que pour dominer et déchirer ce silence. En réalité les mots doivent accentuer le silence. Ainsi les mots ne devraient-ils servir qu'à donner au silence sa forme et ses limites.
Il y a des gens qui prient les yeux levés vers le ciel. Ceux-là cherchent 'Dieu' en dehors d'eux. Il en est d'autres qui penchent la tête et la cachent dans leurs mains, je pense que ceux-ci cherchent 'Dieu' en eux-mêmes.
Je ne vois pas d'autre issue que chacun de nous fasse un retour sur lui-même et extirpe et anéantisse en lui tout ce qu'il croit devoir anéantir chez les autres. Et soyons bien convaincus que le moindre atome de haine que nous ajoutons à ce monde nous le rend plus inhospitalier qu'il ne l'est déjà.
Les pires souffrances de l’homme sont celles qu’il redoute, car le grand obstacle c’est toujours la représentation et non la réalité. La réalité on la prend en charge avec toute la souffrance, toutes les difficultés qui s’y attachent – on la prend en charge, on la hisse sur ses épaules et c’est en la portant que l’on accroît son endurance
Il y a en moi un puits très profond. Et dans ce puits, il y a Dieu. Parfois je parviens à l'atteindre. Mais plus souvent, des pierres et des gravats obstruent ce puits, et Dieu est enseveli. Alors il faut le remettre à jour.