Citations sur Une vie bouleversée (203)
Il aura fallu toutes ces "stations" pour, sans doute, parvenir à cet entraînement naturel de l'un vers l'autre, à cette intimité confiante, à cette faculté de se chérir et d'être bon l'un pour l'autre.
(page 111)
Les gens ne veulent pas l’admettre: un moment vient où l’on ne peut plus "agir", il faut se contenter d'"être" et d’accepter. Et cette acceptation, je la cultive depuis bien longtemps…
On me dit parfois: " Oui, mais tu vois toujours le bon côté des choses. » Quelle platitude! Tout est parfaitement bon. Et en même temps parfaitement mauvais. Les deux faces des choses s’équilibrent, partout et toujours. Je n’ai jamais eu l’impression de devoir me forcer à en voir le bon côté, tout est parfaitement bon, tel quel. Toute situation, si déplorable soit-elle, est un absolu et réunit en soi le bon et le mauvais.
Des conditions de vie semblables ne suffisent apparemment pas à produire des êtres humains semblables.
Parmi ceux qui échouent sur cet aride pan de lande de cinq cent mètres de large sur six cents de long, on trouve aussi des vedettes de la vie politique et culturelle des grandes villes. Autour d'eux, les décors de théâtre qui les protégeaient ont été soudain emportés par un formidable coup de balai et les voilà, sur cette scène nue et ouverte aux quatre vents qui s'appelle Westerbork. Arrachés à leur contexte, leurs figures sont encore auréolées de l'atmosphère palpable qui s'attache à la vie mouvementée d'une société plus complexe que celle-ci.
Ils longent les minces barbelés, et leurs silhouettes vulnérables se découpent en grandeur réelle sur l'immense plaine du ciel. Il faut les avoir vus marcher ainsi.
La solide armure que leur avaient forgée position sociale, notoriété et fortune est tombée en pièces, leur laissant pour tout vêtement la mince chemise de leur humanité. Ils se retrouvent dans un espace vide, seulement délimité par le ciel et la terre et qu'il leur faudra meubler de leurs propres ressources intérieures - il ne leur reste plus rien d'autre.
On s'aperçoit aujourd'hui qu'il ne suffit pas, dans la vie, d'être un politicien habile ou un artiste de talent. Lorsqu'on touche au fond de la détresse, la vie exige bien d'autres qualités.
Oui, c'est vrai, nous sommes jugés à l'aune de nos ultimes valeurs humaines.
l'essentiel est d'être à l'écoute de son rythme propre et d'essayer de vivre en le respectant.
Je crois que la beauté du monde est partout, même là où les manuels de géographie nous décrivent la terre comme aride, infertile et sans accidents. Il est vrai que la plupart des livres ne valent rien, il nous faudra les réécrire.
Tout est hasard, ou rien n'est hasard. Si je croyais à la première possibilité , je ne pourrais pas vivre, mais je ne suis pas encore convaincue de la seconde.
Je viens à l'instant de monter sur une caisse oubliée parmi les buissons pour compter les wagons de marchandise : il y en avait trente-cinq, avec plusieurs wagons de deuxième classe en tête pour l'escorte. Les wagons de marchandises étaient entièrement clos, on avait seulement ôté ça et là quelques lattes et, par ces interstices, dépassaient des mains qui s'agitaient comme celles de noyés.
Le ciel est plein d'oiseaux, les lupins violets s'étalent avec un calme princier, deux petites vieilles sont venues s'asseoir sur la caisse pour bavarder, le soleil m'inonde le visage et sous nos yeux s'accomplit un massacre, tout est si incompréhensible.
[...] ce besoin, cette fantaisie ou cette chimère (comme on voudra) de vouloir posséder un seul être toute une vie, il faut absolument le réduire en miettes. Ce désir d'absolu, il faut absolument le pulvériser. Et ce ne sera pas un appauvrissement de l'être, mais justement un enrichissement. Une promesse de subtilités, de nuances. Accepter dans les liaisons un commencement et une fin, y voir un fait positif et non une raison de tristesse. Ne pas vouloir s'approprier l'autre, ce qui ne revient d'ailleurs pas à renoncer à lui. Lui laisser une liberté totale, ce qui n'implique nulle résignation.
(page 72)
Je vais me donner autant d'exercice physique que je le pourrai, je ferai de la gymnastique et ne me laisserai pas miner par ce qui m'entoure. Dix pas d'un bout à l'autre de ma cellule représentent déjà quelque chose; répétés cent cinquante fois, ces dix pas font une verste. Je me proposai de parcourir chaque jour sept verstes: deux verstes le matin, deux avant le déjeuner, deux après, et une avant de me coucher.
j'ai en moi une petite mélodie personnelle qui a terriblement envie d'être convertie en paroles personnelles. mais l'inhibition, le manque de confiance, la paresse, que sais-je encore, font qu'elle s'étouffe dans ma poitrine et continue à errer en moi. cela mevide parfois complètement, puis cela m'emplit de nouveau d'une musique très douce, très mélancolique.