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Citations sur Les grands cerfs (94)

Le clan se cachait. Il n'aimait pas se faire voir en plein travail de transformation et semblait avoir disparu.
Les cerfs font leur nouvelle ramure sur leur os. Ils produisent de l'os de février à juillet, si bien que leur squelette devient vulnérable. Ils le savent. Ils ont une extraordinaire perception de leur ramure. Ils la connaissent par coeur. On peut alors les voir marcher avec précaution, entre les troncs des arbres, comme s'ils portaient un trésor sur la tête, et ça leur donne l'allure altière de princes à la Cour du roi. (p. 120)
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Les livres nous libèrent. L'argent nous enchaîne.
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A la longue, par usure ou porosité, il me semble que se sont effacées, sans même que je m’en rende compte, les frontières entre les arbres et moi, les nuages et moi, la neige et moi, et même entre les lièvres et moi, et que nos identités se sont hybridées. Les miennes avec les leurs. Mais ce n’était pas réciproque.
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En dix ans. Ça s'est passé en dix ans. Sous nos yeux. Et j'en ai pris conscience seulement cet été là. En dix ans, quelque chose autour de nous, une invention, une variété des formes, une extravagance, une jubilation d'être qui s'accompagnait d'infinis coloris, de moirures, d'étincelles, de brumes, tout ça avait disparu pour laisser place à un monde simplifié, appauvri, uniformisé, accessible aux foules et aux masses où les goûts se répandaient comme des virus. Et ce n'était pas un phénomène cloisonné mais un saccage général. Cet été, je m'en souviendrai toujours, je n'avais vu dans les prés que des papillons blancs, des piérides, tous pareils, et ils voletaient, du matin au soir, en une sorte de tourisme de masse. Mais où étaient passés le Flambé, l'Argus bleu, l'Aurore, le Robert-le-diable ? Et le James-la-joie ? Et le Virginia ? Et le Roberto ? Et l'Emily Dickinson ? Et le Sylvia Plath ? Et le Grand Nacré ? Et les fourmis violentes avant l'orage ? Chaque matin les journaux titraient une nouvelle extinction. Une nouvelle catastrophe. C'était l'été des catastrophes. Et personne ne s'émouvait. Comment la jeunesse, qui n'avait pas appris à écouter les oiseaux, pourrait-elle regretter leur musique ? Pareil pour les papillons. Ils ne seraient aux yeux des nouveaux enfants rien de plus que les minuscules dinosaures volants du monde qui avait précédé le leur. Il me semblait entendre s'élever de la terre un immense Office des morts. Que personne n'entendait.
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Dehors, mirage d'une journée d'été brumeuse et bleue. À l'intérieur, mirage d'un texte qui se ramifiait. Le lendemain, j'ai remis le nez dehors pour noter tout ce qui bougeait et poussait et croissait. Il faisait si beau que je dormais la porte ouverte sur le pré. Je me souviens de la chaleur. De rasades d'eau glacée.
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C'était un été paradoxal, de joie et de profonde mélancolie. L'été précédent, je m'en souvenais bien, le jour même où Le Monde titrait « La sixième extinction de masse est en cours », et annonçait la disparition des espèces, nous avions été visités par un Grand Mars changeant, plus vu depuis des années, entré par la porte-fenêtre grande ouverte. Son bleu métallique, irisé. Et une heure plus tard, dans la prairie, midi, était passé le voilier jaune taché de rouge et de bleu d'un Machaon. Je n'avais pas pu m'empêcher de voir dans ces insistantes apparitions des visites d'adieu: La Beauté vous salue bien. Donc, je les attendais avec un peu d'angoisse. J'attendais leur retour. J'aurais voulu les revoir, cet été là. Je ne les ai pas revus. J'en restais stupéfaite. Je n'en revenais pas d'être témoin de la fin de notre monde, de la naissance d'un autre, alors que l'idylle paradisiaque de notre installation là-haut datait de quelques années seulement. Quel étrange privilège m'était échu là: assister au moment charnière de l'histoire de notre humanité. La catastrophe avait pourtant été annoncée depuis longtemps. On nous avait prévenus.
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[...] la joie n'est pas un plan de vie comme le bonheur. Tout le contraire du bonheur. Elle vous tombe dessus dans les pires catastrophes. Aujourd'hui, en plein désastre, en plein deuil, il n'y a que la joie de possible. Laissons de côté le bonheur. Préparons-nous à la joie d'être encore en vie. Et je repensais à la joie qu'a éprouvée soudain Claude Simon, dans la boue des batailles, sous les obus, à se sentir encore en vie. Dans la boue, nous y étions déjà ; en guerre aussi. Et personne ne le savait. Ne voulait le savoir.
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Au sol, au début, je ne remettais personne. Mais c'est au sol que les oiseaux étaient les plus nombreux, comme si une cape y avait été jetée, grise, qui ondulait agitée par un vent bizarre, se multipliait, s'envolait d'un coup, puis revenait par petits morceaux décousus pour se reformer sous mes yeux, à pas même un mètre. Il m'a fallu l'hiver pour identifier les tarins, rayés de vert, petits, nombreux, une seule bande. Puis j'ai distingué, parmi eux, quelques pinsons des arbres au gros ventre vieux rose. Et aussi, un jour, un bruant éclaboussé de jaune d'or, l'air d'une fleur de pissenlit.
Dans la mangeoire, arrivées et départs, j'ai mis du temps aussi à différencier ce qui était mésange charbonnière : du jaune et du noir; mésange nonnette : du gris, du blanc, du noir, extrêmement épurés, minimalistes ; mésange noire : du noir et du blanc déchiquetés; mésange huppée : crête grise mouchetée de blanc et ventre couleur de pêche; mésange bleue : crâne aplati par une casquette bleu azur qui lui tire les yeux, ses yeux chinois.
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Léo avait pris son appareil, mais pas de trépied. Moi, rien, mes yeux c'est tout. Des conditions épouvantables. Des bourrasques incessantes de grêlons semblables à des météores gelés, à travers des genêts enrobés de glace. Et quand on s'est approchés, avec seulement le filet comme écran entre eux et nous, on les a vus qui ruminaient en rêvant, couchés dans la neige, le vent, la tempête, le brouillard, la glace, le grésil. Et Léo a saisi les plus belles photos de sa série la plus sauvage, des cerfs au milieu de météores. Et le lendemain, quand il m'a montré ses photos, il m'a dit qu'il avait tendance à sortir par des exécrables. Eux aussi. Qui donc temps d'humain sortirait par un tel temps ? Personne. Mais moi, j'aime ça, m'a dit Léo. J'aime cette solitude, ce silence, et cette souffrance du corps pris dans les éléments sauvages. Je me sens enfin proche d'eux. Il y a égalité. On est sur le même plan, les cerfs et moi, dans le même temps insoutenable, glace et vent, dans le même monde sans personne. Qu'est-ce qui me pousse ? Un instinct primitif? Le côté possession ? Sans doute. Mais aussi le goût de l'extrême. Du suprême.
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Quand les cerfs ont fini d’allonger, alors, comme les étapes d’un mystère, commence la troisième métamorphose, plus secrète que la perte des bois, plus secrète encore que le refait : la perte des velours. Je me souviens, à notre arrivée là-haut, l’été les grands coups effrayants qui nous encerclaient la nuit, nous ne savions pas ce que c’était, ça tapait, ça tapait, ça tambourinait jusqu’à l’aube.
Le lendemain, nous cherchions quels arbres avaient été massacrés.
C’est à la mi-juillet exactement que les cerfs se mettent à « frayer », c’est-à-dire à fracturer l’enveloppe de velours qui enrobe leurs bois solidifiés. Quand elle sèche, on dirait qu’elle les brûle comme une tunique de Nessus, et que fous de douleur ils cognent leurs bois contre les arbres, allant aux mêmes arbres chaque année. Et cette peau velue, brisée, ensuite ils la mangent.
(P. 129)
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