Depuis que son mari a disparu (condamné pour vol, il a été envoyé en camp de rééducation) la mère de Gros-Yeux a bien du mal à subvenir à leurs besoins malgré son petit étal de légumes au marché. Aussi, quand un chiffonnier de l'Île-aux-Fleurs vient lui proposer un travail mieux rémunéré, par amitié pour son camarade disparu, elle accepte. Gros-Yeux et sa mère quittent alors Séoul pour s'installer en lisière de la ville, au coeur même d'une décharge à ciel ouvert où tout un village fait de bric et de broc s'est construit. le travail consiste à trier les déchets qui arrivent chaque jour de tous les coins de la ville et à mettre de côté tout ce qui peut être recyclé et réutilisé. Peu à peu, la mère de Gros-Yeux devient l'amante du chiffonnier tandis que son fils se rapproche du petit garçon de ce dernier, surnommé le Pelé. Débrouillards, ils vivent au coeur des déchets, trainent avec la bande de la Taupe et apprivoisent le monde des esprits qui leur apparaissent sous forme de lueurs bleues, doués de parole.
Vrai charge sur la modernisation à marche forcée de la Corée, ce roman nous parle des exclus qui vivent de l'exploitation des déchets des plus riches. 2000 foyers construits avec les rebuts des autres et qui se battent quotidiennement pour avoir la meilleure zone d'ordures à trier. Foire d'empoigne, jalousie et trafics en tout genre président à la gestion de cette immense décharge qui peut faire le bonheur de certains. Tout est codifié, hiérarchisé tandis que le ballet des camions poubelles rythment la vie de ces travailleurs exclus de la grande ville. L'odeur pestilentielle qui imprègne leur corps et leurs vêtements les isolent et les maintiennent à l'écart du progrès dont ils ne ramassent que les miettes.
Pourtant, en contraste, continue de survivre péniblement une société plus traditionnelle qui continue de garder un lien avec les ancêtres et les esprits. le Pelé, un peu simple d'esprit fait pourtant découvrir à Gros-Yeux un monde invisible qui ne se révèle qu'à ses yeux : les habitants bienveillants d'un village qui prenait autrefois la place de la décharge à une époque où l'île-aux-fleurs nourrissait la ville grâce à ses champs et entretenait une foi chamanique. Certains tentent encore de poursuivre un idéal de vie, d'entretenir une mémoire de ce qui n'est plus : une vieille grand-mère qui s'occupe des chiens abandonnés, un père qui répare de vieux appareils ménagers tout en gérant les nombreuses crises de sa fille chamane (ou épileptique ?).
Deux univers qui cohabitent péniblement, presque secrètement et signe pourtant une fracture profonde entraînée par la dictature du général Park qui dura de 1962 à 1979. Un pays perverti par la modernité, la superficialité, la productivité et qui ne retrouve son authenticité que dans l'esprit des fous, des enfants et des marginaux.
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