Citations sur Etranges rivages (84)
Il monta jusqu'à la maison de retraite d'Egilsstadir en réfléchissant à ceux qui connaissaient l'histoire de Jakob et de Matthildur.
Ces derniers étaient vieux quand ils n'avaient pas atteint un âge très avancé, comme Erza et Ninna.
Bientôt, cette histoire, les destins de ces gens, leurs vies emplies de deuils et de victoires, sombreraient dans l'oubli.
Tout cela finirait par disparaître dans une éternité de silence, enterré dans les tombes d'un cimetière où personne ne viendrait à l'exception du vent sous lequel les brins d'herbe frissonnent.
Allongé dans le noir et transi, il ne parvient plus à faire aucun mouvement. Il est à nouveau seul, le feu a disparu, de même que la maison abandonnée. Les ténèbres et le froid le cernent, la chaleur déserte peu à peu ses membres et son visage.
Quelque part, il entend à nouveau ce grattement.
Venu des profondeurs glacées et lointaines, le bruit approche et enfle constamment, bientôt suivi par de déchirants cris d'effroi.
Dans sa douleur et ne pouvait confier son secret à personne.
"S'agissant des disparitions, le temps ne changeait rien à l'affaire. Certes, il finissait par endormir la douleur, mais il en faisait la compagne quotidienne de ceux qui restaient en la rendant plus profonde, plus sensible, délicat, d'une manière qui ne s'expliquait pas vraiment."
_"La vie n'est jamais simple, nota Erlendur. C'est la première chose que nous devons apprendre."
- De quoi parles-tu exactement? avait interrogé Marion.
- De ces disparitions, avait-il répondu. Ce que je dis, c’est que, en tant que simple flic, je dois avant tout découvrir ce qui est arrivé, en apprendre plus sur la personne disparue, sur le comment et sur le pourquoi?
- C’est évident!
- Mais pour les autres?
- Quels autres?
- Ceux qui restent.
- Et alors?
- C’est à eux que va ma compassion. Ce sont eux qui doivent affronter l’évènement et s’en accommoder. Ils doivent faire face au deuil et la douleur de l’absence les accompagne jusqu’à la fin de leur vie. Ce sont ceux qui restent auxquels je m’intéresse le plus.
- Erlendur, les flics ne sont pas là pour sauver les âmes, avait objecté Marion, pour cela nous avons les pasteurs.
- Mais pour les autres ?
- Quels autres ?
- Ceux qui restent
- Et alors ?
- C’est à eux que va ma compassion. Ce sont eux qui doivent affronter l’événement et s’en accommoder. Ils doivent faire face au deuil et la douleur de l’absence les accompagne jusqu’à la fin de leur vie. Ce sont ceux qui restent auxquels je m’intéresse le plus.
Votre histoire avec Matthildur m'a beaucoup touché, voyez-vous. Ce que Jakob lui a fait, ce qu'il vous a fait. J'imagine très bien la souffrance que vous avez endurée, l'horreur que vous avez vécue. Et je me suis mis à réfléchir sur la vengeance, sur ce qui conduit les meilleurs des hommes à commettre les pires atrocités. Sur la manière dont les gens peuvent se rendre coupables de crimes horribles pour se venger.
Il a l'impression qu'ils ne sont pas seuls, que quelqu'un d'autre accompagne cet homme, quelqu'un qu'il ne parvient pas à distinguer.
- Personne, répond le voyageur, je suis venu seul. Vous habitiez ici ?
- Êtes-vous Jakob ?
- Non, je ne suis pas Jakob. Je m'étonne que ces murs tiennent encore debout, je vois que la maison est solide.
- Qui êtes-vous ? Êtes-vous Boas ?
- Je passais par là.
- Vous êtes déjà venu ici ?
- Oui.
- Quand ça ?
- Il y a des années. A l'époque où cette maison était encore habitée. Que sont devenus ces gens ? Savez-vous ce qu'est devenue la famille qui vivait ici ?
- Que faites-vous ici ?
Il se redresse, s'assoit et aperçoit un homme à la porte. Un voyageur vient de tomber sur lui par hasard. Il ne comprend pas sa question.
- Que faites-vous ici ? répète l'homme.
- Qui êtes-vous ?
Il ne distingue pas son visage et ne l'a pas entendu entrer, tout ce qu'il voit se résume à cette silhouette qui répète inlassablement la même question insupportable.
- Que faites-vous ici ?
- Je suis chez moi. Qui êtes-vous ?
- J'ai l'intention de passer la nuit avec vous, si ça ne vous dérange pas.
L'homme assis par terre à côté de lui a allumé un feu. Il sent la chaleur se diffuser sur son visage et tend ses mains vers les flammes. Il n'a eu aussi froid qu'une seule fois dans sa vie.
- Qui êtes-vous ? demande-t-il une nouvelle fois à son visiteur.
- Je suis venu vous écouter.
- M'écouter ? Qui est avec vous ?