Citations sur Laëtitia (166)
Son décès a été un événement médiatique. Ses parents ont suivi l'enquête à la télévision. Ses proches l'ont pleurée au vu et au su de tous, entourés de dizaine de voisins, de milliers d'anonymes et de millions de téléspectateurs.
Un fait divers suppose un coupable. Un fait divers horrible exige un monstre. Un monstre doit être enfermé. Ce simplisme d'analyse traduit un mouvement de fond dans notre société : la nécessité d'assigner à tout crime, à tout accident, à toute maladie, un responsable sur lequel dériver sa colère. La flétrissure du coupable va de pair avec l'élévation de la victime : elle est d'autant plus innocente qu'il est abject. Cette interprétation vise à faire advenir une société de bons et méchants.
Je n'ai pas envie de la laisser toute seule. Que mon livre soit sa phosphorescence, le sillage pailleté et le rire qu'elle a laissés dans l'air un après-midi d'été, une traîne de mots qui disent autant sa grâce et sa noblesse que ses fautes d’orthographe, autant sa détresse et son malheur que ses selfies sur facebook et ses soirées karaoké au Girafon.
Aucune société, fût-elle totalitaire, ne peut éradiquer le crime. Le mal, le désir de transgression, l'envie, la folie étant constitutifs de l'espèce humaine, le risque zéro n'existe pas.
Les journalistes passent parfois pour des cyniques, des mercenaires sans foi ni loi, des charognards, mais leur métier est d’informer, parce que n’importe quel citoyen a envie de savoir ce qui se passe autour de lui. Pour répondre à ce besoin et à ce droit, le journaliste mène des enquêtes fondées sur des sources – entretiens ou procès-verbaux, observations ou rapports, communiqués officiels ou renseignements officieux –, comme un historien, à ceci près que ce dernier est censé préciser l’origine de ses archives.
Il ne faut pas se tromper de causalité. Ce n’est pas parce que Laëtitia est « fragile » que sa mère s’identifie à elle ; c’est l’inverse. Dans le couple parental, les rôles sont clairement distribués : un père menaçant, une mère terrorisée. Dans le duo gémellaire formé par Laëtitia et Jessica, l’une est devenue la victime désignée, tandis que l’autre, bénéficiant de l’estime de ses parents, concentrait toute l’énergie vitale. On ne mise pas sur la « faible », celle qui est « comme maman ».
En fait, nous les enfants, on était tous terrifiés. On pleurait. J’avais peur parce que je croyais que mon père allait me faire mal, et aussi parce qu’il battait ma mère. Je ne comprenais pas vraiment pourquoi il la battait, mais je sentais bien qu’elle devait avoir fait quelque chose de terriblement mal.
Pouvoir du meurtrier sur « sa » victime : non seulement il lui retire la vie, mais il commande le cours de cette vie, qui désormais s’oriente vers la rencontre funeste, l’engrenage sans retour, le geste létal, l’outrage fait au corps.
Dire de sa vie qu'elle est un champ de ruines serait inexact, car, pour avoir des ruines, il faut d'abord construire quelque chose.
Dans le sillage de John Bowlby, fondateur de la théorie de l'attachement, à la fin des années1960, le pédopsychiatre Maurice Berger écrit qu'un enfant a besoin de nouer un lien avec une figure d'adulte "stable, fiable, prévisible, accessible, capable de comprendre les besoins et d'apaiser ses tensions". Sans ce "donneur d'attention", pas de sécurité affective, pas de confiance, pas de point d'ancrage et donc pas de disponibilité pour partir à la découverte du monde.