Citations sur La dernière tempête (51)
Elle sursauta lorsqu’un bruit déchira le silence.
On aurait dit un coup contre la porte d’entrée.
Elle regarda son mari, figé le bras en l’air avec sa cuillère remplie. Il l’avait entendu, lui aussi.
- Anna ? Demanda Erla. Tu crois que c’est Anna ?
Il ne répondit pas.
- Quelqu’un a bien frappé à la porte, Einar ?
Hochant la tête, celui-ci se leva, et Erla l’imita. Elle le suivit jusque dans l’entrée où il se rendit d’un pas lent, indécis – se disant peut-être qu’ils avaient rêvé, que le vent leur avait joué un tour.
Mais Erla savait que ce n’était pas le cas.
Il y avait quelqu’un derrière la porte.
Elle repensa au fait qu’aucune disparition n’avait été signalée aux informations. Étrange, mais peut-être y avait-il une explication parfaitement rationnelle.
Ouvrant enfin la porte, elle tapa des pieds sur le paillasson pour secouer ses chaussures avant de lever d’un coup les yeux – elle avait cette fois bel et bien aperçu un fantôme. Son coeur manqua un battement lorsqu’elle croisa le regard de Leo, debout au milieu du couloir. Elle avait la certitude absolue qu’il venait de sortir de leur chambre en catastrophe.
Sa tentative désespérée de changer de sujet ne fonctionna pas. Erla reprit, comme si de rien n’était :
- Il est trop tard, vous le savez très bien, la neige s’est remise à tomber et a recouvert vos traces. Mais il n’y a qu’une route qui mène ici, et elle passe devant chez Anna. Je sais que… je sais que….
C’est alors que l’électricité se coupa.
Le souffle coupé, paralysée de terreur, elle ne reconnut pas l’individu mais comprit en un éclair qu’elle n’avait aucune issue – la voiture n’était pas fermée à clé et elle était pour ainsi dire coincée sur son siège. Détournant le regard, elle s’empressa dans un geste paniqué de verrouiller la portière. Un soulagement de courte durée, car elle ne pouvait atteindre que celle de son côté.
Pendant une fraction de seconde, la première pensée qui jaillit des profondeurs de son inconscient fut la liberté.
Elle était enfin libre.
Elle pouvait enfin partir d’ici, s’échapper de cette écrasante solitude, de sa réclusion, se fondre dans une société fourmillante, avoir des amis, des connaissances, retrouver sa famille plus souvent. Elle n’avait plus à se sentir prisonnière de son propre foyer pendant des mois et des mois chaque année…
Puis vinrent la nausée, la honte. La honte de cette première réaction, de ce premier réflexe.
On frappa de nouveau plus fort. Erla sursauta, restée derrière Einar qui hésita un instant, puis se décida à ouvrir. Aussitôt une bourrasque neigeuse s'engouffra dans la maison avant que ne se dessinent, face à eux, les contours d'un homme chaudement habillé, avec un épais bonnet sur la tête.
P.43
... ses mains, restées à l'air libre pour feuilleter les pages de son livre, étaient désormais glacées. Un sacrifice qu'elle était prête à accepter, car la lecture lui apportait plus de plaisir que toute autre activité ; avec un bon bouquin, elle voyageait loin, si loin de son quotidien, dans une autre culture, un autre pays où le soleil brillait...
Hulda Hermannsdóttir ouvrit les yeux.
La fichue torpeur qui l’enveloppait refusait de se dissiper. Elle aurait voulu dormir toute la journée, même ici au commissariat, sur cette chaise inconfortable.
Faits et spéculations se mêlaient dans son esprit au point de lui donner le vertige, elle ne parvenait plus à discerner le vrai du faux, n'avait plus de point de repère dans les ténèbres, terrifiée par cet homme de l'autre côté de la porte, terrifiée par ce silence qui enveloppait tout, terrifiée par la perspective d'une tempête d'un autre genre à venir, bien plus puissante que celle qui faisait rage dehors...