Et une fois n'est pas coutume, un auteur a enfin eu la bonne idée de sortir des sentiers tracés, et de laisser la figure du vieux briscard d'enquêteur au placard. Nous voilà face à un jeune inspecteur fraîchement émoulu de l'école de police de Reykjavík et qui ne compte absolument aucune expérience à son actif. Voilà qui m'a plu. Et davantage encore à travers le fait que Jonasson nous extrait des rues de la capitale islandaise pour nous entraîner dans une petite ville du grand nord, confinée dans des paysages inhospitaliers entre fjords gigantesques, routes tortueuses et une mer bien souvent agitée. le tout sur fond de crise bancaire et économique qui a fait exploser le système financier islandais il y a quelques années de cela en 2008 et dont le pays a bien du mal à se remettre. Voilà donc le portrait d'une société brisée, autant financièrement que socialement, à bout de souffle où peu de choses ne contribue à rapprocher les gens. Bien au contraire, les liens se délitent au sein de ce pays dont le climat et la topographie difficiles ne favorisent pas vraiment à unifier sa population. Jonasson rassemble dans son récit une pléiade de personnages, à l'image de ce pays difficile, malmenés et usés par la vie, à commencer par son héros Ari Thór, qui ont tous fui à un moment ou à un autre une existence trop lourde pour eux et qui se sont retrouvés à Siglufjörður.
Les ravages du climat, des éléments naturels, des remous de la mer agitée à la neige envahissante, étouffante, crispante et le bouillonnement des tempêtes, du temps, de la solitude, les ravages de l'isolement, du désoeuvrement, combinés ensemble conduisent, parfois, au repli sur soi, à l'alcoolisme pour tromper l'ennui et la morosité de cette vie solitaire. Cette existence qui englue les êtres dans un état léthargique, où chacun n'a d'autre échappatoire que soi-même. Dans ce lieu, où la nature a repris ses droits, les hommes sont bien peu de choses, beaucoup ont quitté la ville, ne restent que ceux, qui ont déjà beaucoup perdu, qui sauront s'adapter ou qui ont besoin de ce rythme particulier de vie. L'art, comme l'un des rares échappatoires, l'écriture, la lecture, la musique, le théâtre, reste encore un des uniques biais de communication entre les habitants du village, en tout cas un des seuls moyens pour eux de sortir de cet isolement dans lequel ils se sont laissés piégés, involontairement ou non.
C‘est un roman assez pessimiste, en somme, qui renferme une myriade de personnages qui le sont tout autant, les uns, tricheurs et menteurs, qui fuient leurs actes, leur vie et les autres, exploités ou victimes des circonstances défavorables de la vie, qui essaient malgré tout de survivre et de trouver de la beauté là ou ils peuvent, même dans cet endroit, d'une ambivalence totale, où la quiétude et le silence peuvent vite se transformer en un enfer de bourrasques. Les habitants ont bien peu de pouvoir et de libre-arbitre dans cet univers confiné, ce huis-clôt froid où chacun s'est perdu dans les limbes de sa solitude, où pour l'oublier, certains s'échinent à supporter des relations néfastes. Siglufjörður, petite ville qui possède un pouvoir d'attraction indéniable, où tous ceux qui en sont partis, sont inévitablement revenus, et d'où personne ne peut repartir, tout comme le jeune policier Ari Thór,
qui décide de s'y installer pour y faire sa vie. Dans cet isolement insulaire, voilà une prison de glace, qui semble engourdir les gens, qui évoluent comme s'ils étaient seuls au monde. Une vie sommaire, solitaire, loin des tracas de l'économie islandaise en train de s'effondrer, comme si le temps semblait bloqué, les habitants imperméables aux problèmes du reste de l'île.
Au sein de ce lieu esseulé, l'enquête est assez simpliste, il est regrettable qu'il n'y a pas davantage de rebondissements, de beaux coups de théâtre qui pourraient donner un peu de relief à l'histoire, de piment à la lecture. La psychologie des personnages n'est d'ailleurs pas plus avantageusement explorée, le titre d'ailleurs
Snjór, qui signifie neige, manque tout autant d'originalité et de recherche, personne n'ayant trouvé utile de trouver une traduction digne de ce nom. L'auteur, il me semble, cède beaucoup à la facilité en empruntant un style et une trame narrative que d'autres avant lui ont su parfaitement exploités, sans apporter de touche personnelle qui ferait de ce roman un récit particulièrement remarquable. On notera, également, qu'au niveau de la couverture, le manque de recherche est tout aussi navrant. Les promesses sont alléchantes, certes, le résultat est plutôt décevant, je suis franchement restée sur ma faim.
Un autre point qui soulève des questions: l'ouvrage a été traduit depuis la version anglaise, et non pas islandaise, et j'avoue que je trouve cela problématique. Est-ce une simple question de coût, j'imagine que depuis l'anglais le prix au mot de la traduction est bien plus abordable que depuis l'islandais, une question de praticité, une question de rapidité? En tout cas, je trouve cela dommage, je ne remets pas en question le travail du traducteur, de constater que la maison d'édition n'ait pas souhaité considérer et prendre le texte à la source, et non pas sa version traduite donc transformée, forcément.
C'est un roman facile, qui a l'avantage de vous vider la tête et qui plaira certainement aux amateurs du genre, surtout si vous appréciez la littérature nordique et policière. le problème c'est qu'à force de lire et de découvrir le même genre de romans noirs, le lecteur devient plus exigeant, et d'autant plus que venant après
Arnaldur Indriðason,
Ragnar Jonasson fait bien pale figure en comparaison. J'aurais aimé un peu plus de sel à l'intrigue parce qu'en l'état cet ouvrage est un peu trop fade pour nous laisser un souvenir impérissable. En revanche, on appréciera cette atmosphère particulière, aussi glaciale que le climat, presque fascinante, qui caractérise ces romans du nord, qui possèdent un pouvoir d'attraction bien particulier, du moins en ce qui me concerne.
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