Sommes-nous tous des châteaux de cartes qui au cours d'une vie vacilleront voire s'effondreront ?
« Un instant blanc, un instant vide. »
Clara, jeune femme trentenaire, elle donne tout, tout le temps, dans sa vie familiale, dans sa vie de couple et dans sa vie professionnelle. Elle est comme cela, faite de ce bois-là.
Sans bruit, avec le sourire, elle oeuvre, elle s'oublie, ne voit pas les signaux lui disant stop.
Ce matin-là, c'est le pas de trop. S'ensuit l'arrêt maladie, où les jours s'écoulent sans début, sans fin. Cela n'apporte pas de solution à son état mais elle peut se cacher, mettre ses mains devant son visage pour ne plus recevoir les coups, ceux qui ne sont pas faits avec les poings. Les poings se sont les mails qui ponctuent des relations qui n'en sont pas, les ordres et les contre-ordres qui bouffent le quotidien, le bruit, l'agitation, les faux-semblants, cette danse moderne qui n'en finit pas de brasser du vent et de broyer des humains.
Il y a la mécanique qui se met en route avec un premier coup de tonnerre qui s'appelle Médecine du Travail.
« Rendez-vous comme une sommation d'usage avant les tirs. »
Comme une bête blessée.
A terre Clara est à terre, ce ne sont pas les autres qui s'éloignent même si son état fait peur à l'entourage, c'est elle qui met de la distance. Elle s'efface comme si elle n'était que des « maux » écrits à la craie sur une ardoise.
« Salariée à terre et amoureuse délaissée, son monde a éclaté, c'est un univers vide qui lui tient lieu de vie. »
Il faut « parler » à des personnes compétentes à « aider » mais il y a cette distance et la fuite.
Tout est agression, tout est insurmontable, manger, boire, dormir, bouger…
Le sommeil la fuit ou la terrasse, elle est en décalage permanent.
Sortir, voir sans voir, rentrer, essayer de se connecter au quotidien, accomplir des gestes de ceux qui se font sans y penser, mais le corps ne répond plus.
« Tu n'es plus bonne à rien. »
Comme une décharge électrique !
Un livre, une journée en bord de mer…
Une parenthèse, enfin !
L'armure se fendille.
Le monde extérieur pénètre à nouveau sa chair. A la fois familier et pourtant si différent.
Son amie lui dit : tu te souviens ? et surtout « tu es libre, vole. »
« Ne pas laisser échapper cette trouée de lumière entrevue… »
Et transformer l'essai, alors que les souvenirs lointains affleurent cette mémoire quelque peu enfouie.
Le lecteur retrouve toute l'humanité qui fait l'écriture particulière de
Gaëlle Josse, ce regard qui se transforme en mots. Au début les verbes s'enchaînent, ils sont forts dans ces phrases courtes qui balayent, fauchent jusqu'au KO.
Puis l'écriture devient charnue, les verbes ont mis des écharpes colorées, des écharpes de soie qui gardent la chaleur, celle de la vie.
Ce sont cinq tableaux qui nous sont offerts, ils coulent, prennent chair, vibrent.
L'écriture de l'auteur est aussi une musique, dans tous ses livres, il y a cette musicalité qui épouse le propos, ici elle est illustrée par la justesse de cette citation de
Jim Harrison
« On dit que la vie est comme la danse des rivières, parce que rien dans l'univers ne va à contresens. On ne peut jamais aller contre la pente. On est piégé, forcé d'aller de l'avant. »
Cette histoire est une réalité, plombante et qui vient nous dire des choses sur nous dans une période où une grande confusion règne.
Mais elle nous dit aussi l'espoir car en chacun de nous il y a des ressources, des trésors qui émergent.
Ce livre est bien « une main posée sur l'épaule ».
Un monde à réinventer avant qu'il ne soit trop tard.
©Chantal Lafon