A partir d'un tableau d'Emmanuel de Witte, dont l'édition de poche ne donne malheureusement que la partie centrale,
Gaëlle Josse, sous le prétexte de faire raconter sa vie à Magdalena van Beyeren peinte de dos, dans sa chambre, jouant de l'épinette, nous donne un éventail de la Hollande de la fin du XVII siècle.
Trois tableaux sont évoqués : celui de de Witte, celui de Vermeer, la femme à la balance, et un troisième d'un peintre inventé je crois : Johan de Voogd, qui aurait peint le mari de Magdalena, entouré de cartes marines, d'instruments de navigation et de sacs de muscade et de cannelle à ses pieds. On croirait un Vermeer.
En quelques pages,
Gaëlle Josse a le génie de nous présenter un monde : celui du siècle d'or hollandais, ses peintres, son commerce réputé, sa puissance sur les mers, due à ses bateaux plus maniables, et la liberté sur les terres.
« Nos provinces offrent l'asile à ceux qui ne peuvent vivre en paix dans leur pays. Juifs, catholiques ou réformés demeurent ici en bonne intelligence, et chacun apporte sa pierre à l'édifice commun. »
Effectivement,
Descartes, qui a choisi la liberté de penser de la Hollande, puis
Spinoza dont la famille juive marrane séfarade avait fui l'Inquisition hispanique, se sont réfugiés, ainsi qu'Érasme, deux siècles auparavant, avec beaucoup d'autres, dans ce Nord acceuillant.
Le mari de Magdalena est administrateur de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales à Delft, sa soeur, faute de mettre au monde, cultive son jardin : des roses, des iris, des lys et des jacinthes bleues, enfin des tulipes, dont on sait qu'elles viennent d'Istanbul, qu'elles ont donné lieu à une inflation suivie d'une crise financière au milieu de XVII siècle.
Nous suivons, en plus de la présentation de ces produits venus de Chine ou de Japon, dont les porcelaines décorées d'oiseaux et de fleurs, et les soieries, et les verreries, la vie de notre héroïne, qui se confie au papier, c'est-à-dire à nous : la chambre carrelée de noir et de blanc, symbole repris souvent par les peintres hollandais, son mariage d'amour, ses émois, ses enfants, et la crainte qu'elle a qu'une de ses filles trop arrogante n'inspire pas l'amour, enfin la servante , qui lave le sol dans le fonds du tableau.
Puis la reconversion des Pays-Bas ayant appris l'art de la porcelaine, la rivalité avec la Compagnie des Indes française, le crack de la muscade et l'idée de Magdalena, qui aurait pu, en un autre siècle, être elle-même administratrice de la compagnie des Indes, remplacer les épices par le thé.
Petit livre grandiose, en ce qu'il présente, à travers un tableau, la vie entière de son modèle, jusqu'à sa vieillesse (36 ans, sans doute était-ce une durée de vie honorable à cette époque) ainsi que le monde entier rapporté par bateau depuis les contrées lointaines, contenu dans le tableau de de Witte et évoqué par
Gaëlle Josse.