Sitôt l’annonce apprise, on en devient le messager, passeur contraint d’un funeste relais. C’est la double peine de ceux qui souffrent. A peine encaissée, il faut l’annoncer. Et traîner à sa suite un sillage de douleur.
Quand, quelques semaines auparavant, le directeur du lycée avait rendu les bulletins du deuxième trimestre, il avait demandé à Gaspard, sans préambule : "Dites-moi, à quoi reconnaît-on l'hiver ?" Gaspard, étonné, avait répondu : "Le froid, la neige, Noël ?" D'un signe de tête, l'homme avait acquiescé : "Oui, on reconnaît l'hiver à la neige, qui recouvre toute chose. Quand elle déplie son manteau, on ne voit plus qu'elle, uniforme et froide. Et pourtant, tout en dessous, la nature se prépare au printemps, lentement, silencieusement, sûrement." Il avait marqué une pause, le temps d'un raclement de gorge, avant d'ajouter sans autre commentaire : "Gaspard, sachez que nous sommes là pour vous aider à supporter l'hiver et à croire au printemps". Gaspard n'avait pas compris l'allégorie du directeur, mais il se doutait bien qu'il évoquait à mots couverts la mort d'Azylis. Moi, j'ai salué en silence l'attention discrète, la solidarité et la compassion du chef d'établissement. Et j'ai attendu le printemps. Avec la foi de celle qui croit. (p. 181-182)
J'ai pleuré ce jour-là comme aucun autre.
Parce que Gaspard était sauvé. Il avait compris, au prix d'un naufrage solitaire, l'importance de l'adéquation entre ce que l'on fait et ce que l'on est, ce que l'on ressent et ce que l'on montre. Il savait désormais que ce qui affecte sa vie concernent aussi ceux qui l'aiment. Que la souffrance se dit. Pas tout entière, mais la part que l'on est capable d'extraire des profondeurs.
Les grandes épreuves font table rase des rêves, des souvenirs et des projets d’avenir. Elles modifient la conception de l’existence, son sens, son poids, son prix. Elles rebattent les cartes des relations amicales, familiales, sociales et amoureuses parfois. Parce qu’elles font entrer dans la vie leur inséparable compagne : la souffrance.
"Maman, qu'est-ce qui fait le plus mal dans la vie ?" Avant même que j'aie le temps de réfléchir, il a répondu : Je crois que c'est l'amour. L'amour, ça fait toujours mal un jour. " Il a prononcé ces mots calmement, sans pessimisme aucun, mais avec un grand réalisme. Ancré dans son expérience de la vie, de l'amour et de la mort aussi. La seule façon de ne pas souffrir serait donc de ne jamais aimer. Mais pourtant ne pas aimer fait plus souffrir encore. Car rien n'est plus douloureux qu'une vie sans amour.
On peut tout dire et tout écrire, tout imaginer et tout ressentir, la consolation a pour unique vocation de rendre entier, de réparer le cœur brisé, de réconcilier l'âme déchirée, de remettre debout le corps rompu. Tout cela, ensemble.
La consolation est une histoire d'amour écrite à l'encre des larmes. C'est la rencontre de deux cœurs : un cœur qui souffre et un cœur qui s'ouvre. De deux âmes : une âme ébranlée et une âme qui se laisse bouleverser. De deux êtres. Tout simplement. Ils se perdent parfois, se retrouvent souvent. Et dévoilent ensemble la puissance et la grâce de la consolation.
En prenant soin de notre douleur, on reconnait son bien-fondé. On peut alors la vivre en vérité, en assumant cette part sombre de la vie que l'on voudrait gommer. Vivre la peine, c'est déjà un peu se consoler. La tristesse est une possibilité mais aussi un droit, souvent bafoué.
C'est triste de ne pas pouvoir pleurer. de ne pas montrer sa douleur, de ne pas la laisser s'exprimer ouvertement et s'écouler naturellement. Ça fait tant de bien! Même si elles ne pèsent presque rien, les larmes soulagent d'un poids immense. Un poids qui compriment le cœur. On se sent plus léger de ces larmes versées, de cette peine épanchée. On devrait pouvoir dire sans rougir:"Sois fort, pleure!"Car c'est une force immense de pleurer. C’est être fort de sa faiblesse.
Si la douleur est inatteignable aux yeux des autres; elle ne peut être pansée. Et l'on reste désespérément seul. La rejoindre, ce n'est pas la ressentir pour l'autre. C'est la comprendre avec cette belle intelligence du cœur. Et l'accompagner comme cette infirmière, qui dans une présence toute en retenue, dit tout bas "je suis là", sans autre avis ni recommandation. "Je suis là, à portée de ta souffrance."