Je crois que
La Métamorphose est le roman le plus triste que j'ai jamais lu. le désir de bien faire malgré une exclusion complète, une lutte sans espoir ou avec le dérisoire espoir de plaire dans lequel chaque lecteur un tant soit peu sensible, c'est-à-dire qui a été exposé à une forme de rejet à un moment ou un autre, ne serait-ce que dans le deuil d'un parent qui nous est cher, peut se reconnaître.
J'ai toujours été hantée moi-même par la peur d'être en retard, et par le sentiment de ne pas exister pour autrui. Un sentiment qui s'alliait à une sourde révolte.
Grégoire Samsa est tué par son père. Nous n'avons pas besoin de la
lettre au Père pour imaginer ce dominateur qu'était Mr Kafka au point que son fils n'ose lui écrire : Mr Samsa est
le double pratiquement surréaliste dans sa cruauté, de ce père, aimant sans doute, dans le cas de Kafka, mais destructeur.
Il faut une expérience du malheur absolu pour écrire un tel roman, même si le sarcasme n'en est pas absent. Qui dit sarcasme ou humour noir dit détachement. L'élément fantastique du début est vite évacué dans l'absurdité du quotidien et le surnaturel devient naturel.
On trouve les mêmes éléments dans "
Le Double" de
Dostoïevski, "
Le Manteau" et "
Le Nez" de
Gogol,
La Femme Changée en Renard" de
David Garnett.
Tous ces romans participent à la fois du réel et du surnaturel. En tant que tels, ils nous donnent des émotions doubles en nous faisant accéder à l'allégorie.
Si je devais citer un autre roman qui m'a émue par le sentiment d'exclusion qu'il décrit, ce serait le chef d'oeuvre auto-biographique de
Jules Renard, "
Poil de Carotte".
Jules Renard, célèbre pour ses épigrammes, était essentiellement pessimiste. ("Tous les hommes naissent égaux, le lendemain ils ne le sont plus", "L'homme, ce condamné à mort"). Ce n'est peut-être pas un hasard d'ailleurs si
Jules Renard avait sympathisé avec
Edmond Rostand car
Cyrano de Bergerac n'est-il pas le summum de l'échec amoureux et de la souffrance affective?
J'ai conscience que ces oeuvres n'ont en commun que la notion de malheur. Mais c'est bien de cela qu'il s'agît.
Un détail, qui a son importance à mes yeux. Je suis tombée récemment sur une couverture folio de
la Métamorphose qui représentait un petit insecte de rien du tout... Or, quand j'avais douze ans, le livre de poche s'enorgueillissait d'une bête monstrueuse qui effectivement devait avoir du mal à passer sous le canapé. Terrifiée, je tenais la couverture du livre du bout des doigts. Alors un cafard qui s'apparenterait presque à la coccinelle, je dis non!