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sur 341 notes
La découpe des frontières et des corps.
En 1890, lors de la grande partie de Monopoly des grands pays colonisateurs, le roi des Belges confie à un jeune géomètre, Pierre Claes, la mission de délimiter la frontière Nord du Congo. Entre la malaria, l'hostilité de la nature et la barbarie humaine, l'aventure est plus dangereuse que le tracé d'un sentier d'Emilie pour randonneurs en espadrilles.
Remontant le fleuve Congo, l'expédition associe des baroudeurs avec des profils de portrait-robot. Il y a le chinois Xi Xiao, bourreau et tatoueur à vif, Mpanzu le Bantou, Vanderdorpe, un amoureux qui a oublié son coeur en Europe, Leopold, chimpanzé apprivoisé et homonyme du roi belge et Mads Madsen, un capitaine danois qui embarque tout ce petit monde sur son rafiot.
N'ayant pas peur des mots, ni des moustiques, ce roman est une merveille d'écriture et de poésie qui éclaire les ténèbres à la belle étoile. Attention, nous ne suivons pas un documentaire animalier dans la jungle pour de prudes insomniaques. La jungle est carnivore.
Le jeune géomètre blanc, au fil de l'aventure mue comme un serpent, l'âme scarifiée par les horreurs coloniales et le corps dépecé par la lame experte et charnelle de son compagnon chinois, façon Pata Negra. La malaria n'est pas la seule à faire monter la température quand la folie et les hallucinations s'emparent des corps.
Les scènes de transe et de rêveries diffusent le parfum charnel du roman sans qu'il soit vraiment question de sexe mais plutôt d'une quête éperdue d'absolu.
La plume de Paul Kawczak possède le don de réincarner la prose de Poe et de flairer la piste de Conrad au coeur des ténèbres et de l'Afrique noire sans les falsifier. Ce n'est pas le fruit gâté du hasard non plus si Baudelaire et Verlaine apparaissent en « guest star » au cours du roman.
Cette lecture m'a aussi remis en mémoire l'excellent « Congo, une histoire » de David van Reybrouck, un livre d'histoire passionné et passionnant sur cet immense territoire, lu il y a quelques années.
Un roman qui rend la géographie organique.
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En 1890, le jeune géomètre Pierre Claes, originaire de Bruges, est envoyé par son pays aux confins du Congo belge, afin d'y matérialiser la frontière négociée entre états colonialistes lors de la Conférence de Berlin cinq ans plus tôt. Sa périlleuse expédition va lui faire croiser la route de son propre père, disparu il y a bien longtemps en abandonnant femme et enfant, et aussi d'un étrange petit Chinois, Xi Xiao, tatoueur-découpeur de son métier.


La première partie du roman, bien que parfois bizarre, s'avère très accessible et plutôt prometteuse, alors que le lecteur pense se retrouver plongé dans un récit d'aventure historique pointant le racisme colonialiste en Afrique. L'histoire du très éprouvant voyage de Claes, où les Blancs tombent comme des mouches sous les assauts des fièvres et de la malaria, côtoie celle des pérégrinations de son père, nous faisant croiser aussi bien les explorateurs Stanley et Pierre Savorgnan de Brazza, qu'un Baudelaire mourant et un Verlaine aux prises avec l'alcool.


Mais voilà que tout se met à dérailler au mitan du livre, dans ce qui devient un délire onirique et surréaliste où se mêlent jusqu'à l'obsession plaisir, sexe, torture et folie, en un cocktail sauvage et morbide à vous flanquer la nausée. Au fur et à mesure qu'ils s'enfoncent en Afrique Noire, les colons européens sombrent au plus profond de leurs propres ténèbres intérieures. L'écoeurement et l'ennui ne m'ont alors plus quittée, dans une lecture que j'ai eu grand peine à mener à son terme.


Je n'ai pas du tout été réceptive à cette histoire, certes indéniablement maîtrisée quant à sa construction et à son écriture, mais si absurde et cauchemardesque qu'il m'a semblé y étouffer jusqu'au malaise, dans une pénible et immonde descente aux enfers aussi terrifiante que la peinture de Jérôme Bosch.

Lien : https://leslecturesdecanneti..
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Un serpent aux taches fluos, le corps vert et bleu cæruleum, tête allongée vers le haut sur fonds vert de pérylène…….la couverture de Ténèbre, au singulier, comme ce livre, singulier, étrange et presque malfaisant, sauf si on le considère comme la suite du « Coeur des ténèbres » de Conrad.
Qui d'ailleurs apparait ironiquement dans le roman, remontant le fleuve pour apporter des rivets ( au lieu de les attendre comme dans le roman de Conrad) au steamer de Pierre Claes, le géomètre belge qui vient tracer les frontières du Congo, sous l'ordre de Léopold II , roi des belges.

Le serpent de la couverture apparaît plusieurs fois dans le roman, tentation et maléfice, sous la forme d'une couleuvre entrée dans le pantalon d'un européen( eh oui, ce sont des choses qui arrivent en Afrique), la constellation du Serpent sur laquelle se base le géomètre, les serpents qui se pressent autour de lui moribond, alors que les oiseaux chantent, la vipère du Gabon qui pose ses lèvres sur lui tendrement puis repart vers les roses de porcelaine, le python avaleur d'hommes surtout si ils sont petits, chassé par les pygmées du Nord du Congo, les serpents s'enroulant autour du corps de Xi Xiao.
Ils muent, ces serpents, symbole de la mue de Claes, après sa presque agonie et l'abandon de ses bandages. Il perd son innocence première, est ravagé par le paludisme, or, à mesure qu'il pénètre les zones équatoriales, rien plus n'importe que cette beauté de la nature, pas même sa vie.

Contrairement au livre de Conrad, les animaux, perroquets, chimpanzés, léopards non seulement ont une grande place dans Ténèbre, mais aussi, ils sont presque humains, ils pleurent, ils parlent, et ils assistent impuissants au carnage effectué au nom de la civilisation… euh, non, par la colonisation.

Parlons en, comme le fait si bien Paul Kawczak, de la colonisation.

La conférence de Berlin en 1884 et 85 avait, dans son ignorance des rivières, des forêts et des montagnes, et encore plus des groupes humains différents,( dont ils se foutaient, soyons juste) partagé le continent en ligne droite, en carrés : ce qui persiste encore dans certains pays d'Afrique, tranchée à vif dans sa chair dit Paul Kawczak. Il s'agit, dans un deuxième temps, de définir les frontières réelles, et donc de remonter les fleuves, dont le Congo.

La Belgique voit ses frontières menacées par l'Allemagne et l'Angleterre, alors, Leopold II se nomme lui même roi de « l'Etat indépendant du Congo », l'EIC, qui n'est en réalité ni un Etat ni indépendant, puisque propriété privée et absolue de ce roi barbare. Savorgnan de Brazza explore pour le compte de la France, alors Léopold II contacte Stanley, fameux journaliste qui a retrouvé Livingstone( I presume) et aussi connu pour sa cruauté gratuite, ainsi que Hermann von Wissmann, détraqué sexuel. Il tuent et coupent les mains, pas en représailles, mais pour se faire craindre.

Vrais assassins qui n'ont pas la conscience de l'être, réconfortés à l'idée que personne ne mettra en cause leur inutile carnage.

Ainsi que le note Conrad, le continent noir étaient une page blanche, une étendue si immaculée que cela permet de dévoyer le rêve des enfants, en révélant l'obscurité de certains humains, la cruauté de leur coeur :« ce point aveugle des cartes était le point aveugle de l'âme »

Voyage le long du fleuve Congo, voyage dans la sauvagerie coloniale, voyage dans la ténèbre de certaines vies, voyage autour d'une histoire vraie, voyage aussi à l'intérieur de la férocité humaine plus animale que celle des animaux, voyage dans les fièvres comateuses du paludisme et voyage autour d'une pratique chinoise , le lingchi, dont nous avons une image dans un livre de Bataille. Image inoubliablement cruelle, où l'on voit un homme proche de l'orgasme, sous effet de l'opium, se faire découper.

Car, oui, il est question dans Tenèbre de toutes les barbaries, depuis « les Bantous arrachés à leur village et forcés à travailler à la ruine de leur pays et de leur culture », Tippo Tip, célèbre marchand d'esclaves, lui aussi mandaté par le roi des Belges et qui tient un registre des balles utilisées et des mains coupées, et Xi Xao, le chinois tatoueur et bourreau .

J'avais, je l'avoue, peur de lire ce livre, mais tout au long, l'écriture foisonnante, luxuriante, touffue comme cette Afrique Equatoriale qu'il décrit si bien, horrible comme ce qu'ont fait les colons furieusement crapuleux, chargée de symboles comme la découpure des chairs d'un continent, semblable à la pratique chinoise, porte le propos et nous incite à continuer, avec un art du « juste assez » pour nos nerfs, remarquable.

Une écriture étonnante qui situe le Paradis terrestre au coeur des jungles, expressément plurielles,( contrairement au singulier de Ténèbre, ) contrastant violemment avec les sévices subis par la population du pays, détrônés des entrailles de leurs terres ancestrales au nom du capitalisme naissant, avoir plus de terre, payer pour en connaître l'étendue, et puisque l'esclavage n'est plus au cours du jour, saigner à blanc en exportant de force les richesses : caoutchouc et ivoire, en attendant les minéraux (manganèse, lithium,) qui relanceront les errements de l'exploitation sordide.
(sévices, entrailles , errements et ténèbres ne se disent pas au singulier, sauf Huysmans, (qui utilise le mot Ténèbre) à qui je crois Paul Kawczak fait référence, (la déliquescence et l'appel divin) lui qui met en scène longuement Baudelaire et Verlaine dans leurs affres , leur alcoolisme et leurs fins.


Il y a sans doute un peu d'exagération dans le chiffre cité en exergue par Isidore Ndaywel E Nziem : 10 millions de Congolais morts entre 1880 et 1930. Pas besoin de chiffres pour un carnage évident. de plus, un anachronisme grave : Paul Kawczak parle de la construction d'un chemin de fer, et du fait que les asiatiques n'étaient pas assez forts pour ce travail, confié par la suite à des africains en travail forcé. Or celle ci a eu lieu en 1927, pas dans années 1890.

Reste que ce roman, à la fois historique, violemment historique, digne de Conrad, par cette pénétration à l'intérieur d'un pays vierge, la vision de moribonds au fond d'un trou alors que le colon fier de lui porte beau, l'exploitation par des imbéciles d'un pays sans défense, leurs victoires de pauvres types, leurs exactions que seul l'enrichissement peut justifier, et puis le même lyrisme sur la beauté des premiers jours du monde de l'Afrique Equatoriale, et malheureusement les mains coupées qui rappellent les têtes alignées devant la hutte de Kurtz, nous plonge .avec grand art dans l'exubérance des jungles et nous fait avaler la couleuvre de la sauvagerie, rappelle un passé dépassé, en le réinventant habilement avec ses propres personnages romanesques, et nous enchante par delà la plus extrême noirceur.

N'est pas noir qui l'on croit.
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Suite à la conférence de Berlin de 1895, les nations européennes décidèrent de se partager l'Afrique. le roi des belges léopold II, demanda son dû. C'est ainsi que le centre du continent, le Congo, encore largement inconnu, lui revint. A lui d'en tirer toutes les richesses possibles. La littérature et le cinéma ne manquent pas sur ce thème. Ce n'est, qu'après tout un épisode de plus sur l'abomination de la colonisation. Mais c'est justement là que le roman de Paul Kawczak diffère des autres oeuvres. Pierre Claes, géomètre, accepte une mission pour délimiter la partie nord du Congo des parties françaises et anglaises. Participera également à cette expédition hétéroclite Xi Xiao, un bourreau chinois, passé maître dans le découpage des corps vivants. On découvre peu à peu, par de savants flash-back, le parcours et les histoires intimes des personnages qui détermineront leurs motivations et les amèneront à tenter l'aventure en Afrique à la recherche d'un autre « eux-même ». La folie est déjà perceptible en Europe. C'est à Bruges que commencera cette boucherie puisque le père de Pierre Claes est boucher de son état mais surtout schizophrène. La mort de Baudelaire, la folie qui s'amorce déjà chez Verlaine, les débuts du mouvement symboliste, tout cela est à mettre en rapport avec cette Europe malade, recherchant un ailleurs où laisser éclater sa folie. Les nouvelles missions au Congo ne sont alors que des exutoires possibles. C'est la folie européenne qui va se transposer et se déchaîner en Afrique. L'Histoire, la grande, n'est que le fruit de motivations individuelles, et c'est à l'aune de ces motifs que va se réaliser la colonisation du Congo Belge. Avec son cortège d'atrocités, ce déchaînement de cruauté. Chacun assouvira son mal-être par des souffres-douleurs. D'où ses corps mutilés, ses mains tranchées à vif, ces villages incendiés, ces enfants violées…
Tout cela est expliqué. Et comme dans le roman de Konrad, plus nous remontons le fleuve, plus nous remontons dans les méandres de notre propre folie. Il est évident que le dépeçage des corps vivants est celui du continent. Nous sommes là dans une poésie de l'atroce, dont les toiles symbolistes en sont les témoins picturaux. Xi Xiao n'est que l'exécutant. La communion avec l'univers, les étoiles, l'authenticité de la jungle, souvent rappelée, n'est là à mon sens, que pour signifier que dans L Univers, tout se tient. Cette non-dualité qui fait que ce qui se passe à Bruxelles ou à Paris se retrouve sous les cieux africains. Nous sommes tous issus de la même matrice. C'est donc d'un suicide collectif qu'il s'agit. D'ailleurs, la fin du roman le confirme par cette formidable explosion qui clôt le roman. La matière vivante se fond avec le minéral, avec le cosmos.
Ce roman est un pur chef-d'oeuvre. Mais attention, il faut être prêt ! Peut-être lire Konrad avant ?
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Ténèbre s'emploie habituellement au pluriel. Paul Kawczak a choisi la forme du singulier pour intituler son ouvrage. Un singulier qui veut sans doute être annonciateur d'une singularité de l'ouvrage. La justifiant peut être par la transcription littérale des idéogrammes qui ornent la cassette de Xi Xiao. Cet étui en bois contient les ustensiles qui lui permettent de se livrer à son art : le tatouage et la découpe des corps humains.

Xi Xiao est un bourreau expatrié de sa lointaine patrie, la Chine. Son art est celui de la lecture des destinées dans les lambeaux de chair qu'il découpent sur les corps de ses suppliciés. L'excellence de son art consistant à retirer peau et organes en conservant le sujet en vie le plus longtemps possible. Je ne vais pas dire que cet ouvrage m'a comblé d'aise, loin s'en faut. Pas seulement à cause de ce qui précède mais aussi du fait de son style et de sa construction. Mais bien entendu, c'est l'effet recherché.

Ce maître du dépeçage à vif intervient dans des circonstances et vers un objectif qui ne m'ont pas permis de comprendre la relation de cause à effet. Pierre Claes, géomètre missionné par le roi Léopold II de Belgique pour déterminer les limites de ses possessions africaines, s'est attaché les services de Xi Xiao, personnage pour le moins singulier, en qualité de factotum pour gérer l'intendance de ses expéditions. Se tisse alors entre les deux hommes une curieuse relation, une forme d'attraction vers un avenir de perdition, laquelle attraction se qualifie d'amoureuse, et dont l'accomplissement ne serait ni plus ni moins qu'une mort programmée concomitante, par dépeçage. La conception est pour le moins déroutante. Mysticisme morbide dont on imagine attribuer l'origine au passé calamiteux des protagonistes lesquels pensaient gagner leur rédemption en se dévouant à leur pays dans son entreprise de colonisation. Ladite entreprise dévoilant ses aspects sordides - racisme, maltraitance des autochtones, appropriation des ressources naturelles - les enfoncerait dans la désespérance en l'espèce humaine. Les précipitant vers une fin convoitée, libératrice des affres de ce monde.

Le style est aussi obscur que l'intention. Elliptique, métaphorique, il fait usage de tous les artifices et tournures qui l'enlisent dans un suggestif labyrinthique. Pour verser dans une forme de mysticisme divinatoire et abandonner son lecteur dans les méandres d'une intrigue aussi inextricable que la forêt vierge qui lui sert de décor. Avec des allers et retours dans le désordre du passé des protagonistes, mettant à mal la compréhension, par moi, de la chronologie des faits.

Le contexte historique étant celui de la colonisation de l'Afrique au XIXème siècle, avec en particulier le traçage des limites des possessions que se disputent les voraces nations colonisatrices, sombre découpage qui n'est pas sans rappeler celui des corps auquel se livre le bourreau chinois, l'auteur n'a pas de mots assez durs pour condamner ce triste chapitre de l'histoire de la vieille Europe. Oubliant que le jugement d'une époque par une autre postérieure est forcément fallacieux. C'est faire fi des acquis sociologique, politique, ethnologique, voire tout simplement humain et sombrer dans un humanisme mercantile racoleur en vogue en nos temps modernes.

Je n'ai donc pas adhéré à la conception résolument moderne de cet ouvrage. Outre cet élan irrépressible du héros, Pierre Claes - c'est quand même lui le héros, on l'oublie parfois tant les digressions sont longues et dispersantes - vers son bourreau, sa quête d'une fin masochiste par dépeçage - merci de la perspective - son style et sa construction m'ont rendu sa lecture laborieuse. Au point d'en perdre la finalité et surtout le goût. Même si je me suis accroché pour terminer ce premier roman, j'avoue qu'il me rend méfiant à l'égard de cet auteur s'il devait récidiver. Ce qui me paraît probable vu l'accueil qui lui a été globalement réservé, et dont je me démarque. On ne peut pas plaire à tout le monde.
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Littérature québécoise, un premier roman étonnant, un voyage au coeur du Congo belge du 19e siècle.

C'est l'histoire du géomètre Claes, jeune idéaliste qui est là pour tracer la frontière du Congo pour le roi des Belges. Une vision différente de la Belgique, un état qui me semble aujourd'hui bien pacifique sur l'échiquier international qui était alors une puissance coloniale.

C'est un compagnon d'expédition improbable, le Chinois Xi Xiao, venu en Afrique au sein d'un contingent de « jaunes » recrutés pour travailler. Les autres sont repartis, il a décidé de rester, car il a vu les signes que son destin s'y réaliserait. Dans son pays, il était maître d'une tradition ancienne, celle de bourreau découpeur. Il s'agit de trancher délicatement la peau, les muscles et les organes tout en conservant la victime en vie, jusqu'à ce qu'elle s'éteigne dans une extase mortelle, une torture réservée aux plus nobles.

C'est aussi le grand amour romantique : celui du Belge Vanderdorpe qui a abandonné son enfant pour suivre la belle Manon, poétesse dans le cercle des intimes de Baudelaire et Verlaine. Mais Manon en aime un autre… Des amours tout à fait d'un autre siècle.

C'est une Afrique pas du tout romantique : les serpents et les moustiques, les atrocités des Blancs qui tuent pour un rien, pour leurs exploitations de caoutchouc ou d'ivoire. C'est cru, ça saigne et ça pue, mais en belles phrases littéraires.

Ce sont aussi de grandes évasions dans le rêve de l'opium, de l'absinthe, ou dans le délire de la malaria.

Un roman qui va dans tous les sens, une plume à découvrir.
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Si vous avez adoré le désespoir et l'ironie de films comme « La victoire en chantant » de Jean-Jacques Annaud ou « Coup de Torchon » de Bertrand Tavernier, alors ce livre est pour vous. Si vous ne vous êtes jamais remis de « Au coeur des ténèbres » (tiens, proximité des titres) de Joseph Conrad, alors ce livre est encore plus pour vous.
Pierre Claes est un géomètre belge à qui le roi Léopold, de triste mémoire, a donné l'ordre d'aller découper les frontières africaines. Il en sortira lui-même découpé. Dans un style bien ciselé, parfois proche de la truculence, Paul Kawczak place le colon blanc devant ses responsabilités historiques. Ce passage, au début du livre, résume à merveille l'esprit du roman : « Toute une civilisation bourgeoise, mâle et malade, étouffée de production, exsangue d'action, faisandée de rêves en chaque crâne, se dépensa avec érotisme et violence dans un fantasme de terre femelle et primitive, de Nouvelle Ève noire à violer dans la nuit blanche (…) ». Crimes et débauche ont jalonné l'indigne conquêtes des blancs du Congo. Pierre Claes ne leur ressemble pas. Il comprend que l'Afrique l'anéantira corps et âme. Avec des scènes hallucinées (p118), des pages où Éros se dispute avec Thanatos (p151) et des descriptions extraordinaires où les paysages du douanier Rousseau perdent brutalement leur naïveté (p199), l'auteur nous fait basculer dans une folie violente et sensuelle. Je suis sortie de ce roman enchantée, groggy, avec l'impression d'avoir voyagé très loin. N'est-ce pas ce qu'on demande aussi à un roman ? de vous conduire vers d'autres mondes ?
Bilan : 🌹🌹
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Alors qu'à la fin du XIXe siècle les grandes nations européennes continuent à s'approprier l'Afrique, Léopold II de Belgique n'entend pas les laisser grignoter la frontière septentrionale de « son » Congo. Il charge le jeune géomètre Pierre Claës d'une expédition pour remonter le fleuve Ubangi, dans le but de cartographier avec précision la zone de jungle frontalière.

Il lui faudra finalement deux expéditions plutôt qu'une, car au Congo, Claës va rencontrer la maladie, le non-droit et la violence. Mais aussi son passé, la vengeance et la souffrance. Et enfin l'amour, sous la forme la plus inattendue de la libération du corps et de l'âme par la mutilation des chairs et l'évasion de l'esprit.

La lecture de Ténèbre de Paul Kawczak est une expédition littéraire à elle seule : à la fois roman d'histoire, conte poétique et fantasmagorie un brin barrée, l'ensemble se tient pour qui sait s'extraire des constructions littéraires habituelles et s'abandonner à une narration innovante. Kawczak y fait défiler une incroyable galerie de personnages réels - on y croise Baudelaire, Verlaine ou Hugo – et fictifs au premier rang desquels, Xi Xiao le bourreau-tatoueur-écorcheur-inciseur-libérateur, dont le coffret d'ustensiles porte l'idéogramme mystérieux des ténèbres…

Il y a dans tout le livre, une atmosphère qui n'est pas sans rappeler celle d'Apocalypse Now et donc l'oeuvre de Joseph Conrad : le fleuve, la jungle, la quête de celui qu'on recherche, la maladie, les confins de la folie… Il y a dans tout le livre, un mélange d'aventure, d'érotisme, de cruauté et d'imaginaire, qui chemine sur l'étroite crête du fourre-tout casse gueule, sans jamais y tomber grâce au talent narratif particulièrement agréable à suivre de Paul Kawczak. Ténèbre trouve toute sa – belle – place aux éditions La Peuplade, définitivement atypiques et c'est tant mieux !
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Dans une lente progression sur le fleuve Congo et son affluent, l'Ubangi, les vapeurs empruntés par le géomètre Pierre Claes en septembre 1890, le mènent à la mission que lui a confiée Léopold II, roi des Belges et grand colonisateur de cette fin de siècle : celle de délimiter officiellement une frontière au nord du territoire. le jeune homme, parti avec de bonnes intentions, découvrira rapidement l'horreur de la soumission dans laquelle vivent les peuples indigènes sous le joug des colons. Commencera alors en lui un processus de délitement mental et physique, que sa rencontre avec Xi Xia, un bourreau chinois, maître du lingchi, exacerbera dans une hantise malsaine et fatale.
La première phrase du roman donne le ton, assenée de façon brutale. On sait dès lors que ce qui suivra ne peut qu'empirer. Paul Kawczak entremêle à son récit posé dans un contexte historique, la recherche d'un père et de son fils, des amours impossibles et la quête, par ses personnages, d'une société plus équitable. Tout cela, embrumé par les délires opiacés, les affres de la malaria, la touffeur tropicale et le vrombissement des insectes. Un autre titre à ajouter à ma liste Grande Noirceur, gouffre sans fin, dirait-on, de l'infamie humaine.
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Une descente aux Enfers onirique et torturée

Pierre est un jeune géomètre envoyé au Congo Belge pour tracer l'une des frontières qui partageront l'Afrique entre les grandes puissances européennes. Si ce roman débute comme un récit d'aventure historique, mettant en avant l'horreur du colonialisme, il va très vite se transformer en un roman choral où se mêlent le spleen, l'obsession et même la folie de nombreux personnages. « Ténèbre » est autant envoûtant qu'il est dérangeant. D'une violence des plus crues, mêlée à un érotisme pervers, quitte à aller un peu trop dans la surenchère, ce livre n'est pas à mettre entre les mains de tout le monde, mais il reste une expérience assez hallucinante. Et dire qu'il s'agit là d'un premier roman !
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