Voilà bien longtemps que ce titre me trottait dans la tête ... sans trop savoir pourquoi, d'ailleurs, peut-être une évocation dans la presse, une connaissance en ayant fait part sur les réseaux sociaux, ... Et je tombe sur le livre par hasard, entre
Le Havre et Fécamp, lors de vacances normandes ...
Une claque ... c'est ce que j'ai ressenti à la lecture. Une lecture avalée en une ou deux journées je crois, et une lecture qui reste. Pas tous les détails bien sûr ... hormis les lieux qui ne me sont pas inconnus, les noms sont déjà sortis de mon esprit. Mais impossible d'oublier l'histoire en elle-même. Aucun risque de spoiler ici. Une famille, un enfant qui meurt d'un banal accident de la route, que faire de ses organes ? Ils serviront à sauver des vies.
Ce n'est pas tant l'histoire et les péripéties qui sont intéressantes, car de péripéties, il n'y a point. le texte de Maylis de
Kerangal est celui d'un cheminement, lent, évidemment douloureux. Lorsque les parents de Simon doivent se résoudre à accepter l'inacceptable, la mort de leur enfant. Au milieu d'une vie qui continue malgré tout ... pour les parents, l'entourage, les soignants ... et puis le chemin que Simon continue de parcourir lorsque ces organes vont sauver des vies. Terrible paradoxe que cette mort injuste qui donne la vie. Débute alors une course contre la montre, prélever les organes sur le donneur, trouver des receveurs compatibles, organiser les transports, les opérations aux quatre coins du pays ... Et dans cette urgence, cet univers très codifié,
Maylis de Kerangal fait là encore transpirer la vie, la laisse transparaître, aux travers de digressions sur la vie de Thomas, l'infirmier chargé du don d'organes dans l'hôpital du Havre où se trouve le corps de SImon. On est d'abord surpris de ces apartés, comme on peut l'être, en début de lecture, par ces phrases et ces pensées qui s'étirent, dans le cerveau brumeux de Marianne, la mère de Simon. Et puis finalement, on comprend - ou plus exactement c'est le sens que je leur donne - que ces éléments du texte sont là comme pour à la fois étirer le temps et l'abolir ... l'étirer pour maintenir encore un peu de cette vie qui peu à peu quitte le corps de Simon, l'abolir parce qu'une fois la décision prise, il faut agir vite, de manière clinique.
Je crois pouvoir dire que ce texte est bouleversant, en tout cas, il m'a bouleversé. Et à la fin de cette lecture, lorsque les organes de Simon redonnent vie à d'autres patients, les dernières images de "Jésus de Montréal", film québécois de
Denys Arcand sorti en 1989, sont remontées à la surface, lorsque les organes de Daniel, "héros" du film, permettent de sauver des vies.
Et les mots de Maylis de
Kerangal sont d'autant plus bouleversants qu'à aucun moment, elle ne porte de jugement. Ni sur les doutes des parents, ni sur les entretiens des personnels médicaux et soignants, qui connaissent la loi, mais sont aussi attentifs à l'humain. Bien au contraire, les personnages sont tous plein d'humanité et finissent par nous donner envie de croire en un monde meilleur.