Alors que percent les premières lueurs de l'aube, trois jeunes gens roulent à bord d'un van, éreintés, vidés. La route s'étend devant eux, longue langue sombre. le paysage défile de part et d'autre, à toute allure. Assis entre ses deux amis, Simon fixe droit devant. Dans sa tête résonne encore le bruit des vagues qui déferlent – béatitude – , cette eau froide et noire comme de l'encre glisse encore sur sa peau – frissons – il se revoit sur sa planche, en équilibre instable, filant dans la nuit, - sensations -.
Tangage de l'esprit, engourdissement du corps, palpitations du coeur...
Soudain, tout son être se soulève et vient heurter violemment le pare-brise – impact – . Rien ne le retenait. Pas de ceinture – silence – . Coma profond. Urgences. Déploiements de gens ; médecins, chirurgiens, infirmières, parents. Mort cérébrale. Il n'avait pas vingt ans.
Mais dans ce corps figé à jamais, coeur, poumons, foie, reins, organes vitaux précieux peuvent poursuivre leur travail dans d'autres corps – réparation – . Faire comprendre cela à la famille sans brusquer, trouver les mots justes, accompagner leur réflexion. Acceptation de la mort. Confiance envers le corps médical – acte de générosité – .
Puis, c'est l'accélération. Heures et minutes s'égrènent. Grande agitation. Course contre la montre. Il faut faire vite – coordination –. Une sonnerie de téléphone retentit à des centaines de kilomètres chez une femme dont le coeur s'épuise un peu plus chaque jour – angoisse –. Continuer à vivre avec le coeur d'un autre. Offrande d'un être que l'on ne connaît pas – don –.
Tension palpable mais maîtrisée. Des hommes et des femmes fatigués mais toujours debouts. Mécanique bien huilé, rouage connu. Relais parfaitement coordonnés.
Alors qu'il fait désormais nuit noire, un coeur en remplace un autre – transplantation –. Chacun s'affaire au-dessus de ce corps qui ne demande qu'à vivre. Les gestes sont sûrs. Mais on retient son souffle, pas de risque zéro. On attend... et voilà le premier battement de coeur, puis le second... la vie déferle à nouveau dans ce corps, en rythme, en cadence, comme les vagues qui ce matin même roulaient autour de Simon.
Bien au-delà d'un roman sur une transplantation cardiaque, Maylis de kerangal déroule un langage et une poésie, un réalisme parfois cru et une sensibilité à fleur de peau, et pénètre dans l'intimité de chaque personnage. On sent les vibrations de ces gens, leurs tumultes intérieurs. Elle nous laisse voir et sentir la vie, sa transpiration, sa respiration à travers un coeur qui bat, organe essentiel et emblème des sentiments les plus profonds.
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