Avant d'entamer la première nouvelle, le lecteur retrouve l'avertissement suivant de l'éditeur :
«Ce triptyque de récits, composé selon le voeu explicite de l'auteur, comporte trois visions littéraires qui saisissent et traduisent trois moments cruciaux de la vie d'
Imre Kertész, après son retour des camps de concentration. »
Vous l'aurez compris, l'auteur mélange son expérience personnelle à la fiction. La part de vérité est à chercher. Mais existe-t-elle la Vérité? Sommes-nous juste des témoins dans une Histoire plus grande que nous? Toute histoire est-elle racontable?
Dans le Drapeau anglais, un professeur raconte une histoire à un cercle composé d'anciens étudiants. Il aborde un événement de l'insurrection hongroise de 1956 ; il parle de chars d'assaut qui envahissent Budapest, une ville détruite, poussiéreuse, mais aussi d'une voiture arborant un drapeau anglais, signe de liberté. Cette nouvelle permet surtout à l'auteur de jouer avec les concepts, entre autres, de la mémoire, de la subjectivité, de l'enfermement, de la vérité, du destin, du rôle du bourreau. C'est tout simplement troublant, voire déstabilisant car la lectrice ou le lecteur doit travailler assez fort pour rassembler les pièces de l'histoire. Les phrases sont longues, il y a des retours en arrière puis dans le présent et la vérité est souvent masquée, camouflée. C'est une nouvelle sombre, amère et la lectrice ou le lecteur sent bien la perte d'illusions et l'oppression qui accablent l'univers. Faisait-il bon vivre dans cette Hongrie oppressée? Après avoir lu cette nouvelle, j'aurais tendance à répondre non.
Dans
le Chercheur de traces, un homme revient dans un lieu, ou une ville, où de terribles événements se sont déroulés. Quels sont ces crimes auxquels il aurait assisté enfant? La lectrice ou le lecteur doute, essaye de comprendre, de suivre les traces. Elle ou il se doute bien que c'est le retour d'un déporté dans un camp d'extermination après la guerre. Sur le portail du lieu, il y a cette inscription «Chacun son dû». le narrateur dira :
« Il y a dans ces mots une vérité qu'on peut prendre en considération, il suffit de la trouver». (p. 127)
Le narrateur progresse intérieurement. Il poursuit une quête, recherche des preuves pour expliquer les événements qui l'ont marqué dans son enfance. La parole devient incapable d'exprimer l'inexprimable. Souvent, la vérité se trouve dans le silence. La «catastrophe» devient on le doute bien l'extermination des Juifs. La puissance de la plume de l'auteur est là dans cet indicible, dans cet innommable. Il se sert du langage pour explorer son inconscient ou sa mémoire afin de traquer le terrible. L'histoire d'un homme devient celle d'un peuple, l'individuel versus l'universel.
Je trouve très difficile de parler de cet écrivain tant tout est camouflé, caché. La vérité est ailleurs.
Dans le Procès-verbal, un homme voyage dans un train peu après la chute du mur de Berlin. Il se déplace de Budapest vers Vienne. Un contrôleur lui demande la somme qu'il possède. Mais, il ne donne pas le bon montant. Il sera alors expulsé du train et il se verra remettre un procès-verbal qu'il refuse de signer. Mais, un autre contrôleur témoigne contre lui pour appuyer son collègue. Il ne pourra pas se rendre à Vienne car son argent lui est confisqué et il repart dans un autre train pour Budapest. Cette nouvelle soulève la lourdeur bureaucratique qui fera dire au narrateur :
«Les dictatures changeantes et néanmoins monotones des six dernières décennies ainsi que cette dictature résiduelle qui n'a pas encore de nom ont broyé mon immunité nourrie de patience, d'une patience injustifiée. » (p. 218)
Ce trajet permettra aussi au narrateur de revisiter ses souvenirs. La lourdeur de la bureaucratie, le camouflage, les secrets pour survivre, feront comprendre au narrateur que c'est le comportement du contrôleur qui l'a poussé à mentir. Un comportement qu'il associe aux hommes de son passé. On le sent, il a connu des officiers terribles. Mais, il en a connu également des bons.
«Dans les prisons, dans les camps, dans tous les endroits de ce genre, il se trouve toujours un officier ou un sous-officier qui vous redonne foi en l'existence. » (p. 215)
Le narrateur réalise qu'il est probablement condamné, à cause de son histoire personnelle, à vivre avec une liberté d'esclave.
Je le répète, j'ai trouvé cette lecture extrêmement difficile à cause peut-être de mon manque de connaissances dans différents domaines. D'une part, je ne connaissais presque rien du vécu d'
Imre Kertész. D'autre part, je n'avais aucune idée des faits historiques de la Hongrie (régime totalitaire, censure dans le pays, etc.). Alors, vous imaginez dans quelle aventure je me suis lancée…Mais bon. Ne m'en voulez pas trop pour mes résumés des nouvelles. Je me suis peut-être trompée aussi dans mon interprétation, comme quoi, j'ai peut-être joué moi aussi avec les mots.
https://madamelit.ca/2022/02/03/madame-lit-le-drapeau-anglais-suivi-de-
le-chercheur-de-traces-et-de-le-proces-verbal/
Lien :
https://madamelit.ca/2022/02..