« Depuis la nuit des âges, il n'y avait eu dans cette brousse pour naître, vivre, chasser, s'accoupler et mourir, que le peuple des bêtes. Les bêtes comme la terre demeuraient fidèles aux premiers temps du monde », écrit
Kessel. Oui, comme chaque lecteur de ce livre je présume, j'ai été pris d'une sorte d'envoutement en lisant ce récit qui nous plonge dans la brousse africaine. Quelle écriture précise, sans ornement mais pourtant si riche de détails, de descriptions. Je suis les yeux du narrateur devenu mais jusqu'à un certain point seulement. Suis-je le seul à avoir éprouvé ce malaise qui n'a été relevé par aucun des lecteurs qui sont exprimés sur ce site ? Suis-je le seul à m'être dit en tournant certaines des pages de ce livre que la passion du narrateur pour Patricia, cette petite fille de 10 ans à peine, pose parfois question ?
Joseph Kessel écrit : «- Pourquoi l'excitez-vous ?, demandai-je à la petite fille. - Pour le rendre enragé, dangereux, dit-elle. Et quand il le sera trop, alors je le ferai tenir tranquille. C'est un jeu. -Mais lui, ne le sait pas, dis-je. -Naturellement qu'il ne le sait pas, s'écria Patricia. Sans quoi il n'y aurait pas de jeu. Kihoro le borgne. King le grand lion. Avec quels partenaires nouveaux et à quelle frontière Patricia allait-elle un jour menait le jeu ? (…) Mais les bêtes ne suffisaient à son jeu, je le voyais bien. La petite fille éprouvait le besoin d'y mêler les hommes afin d'étendre sa puissance dans le même instant sur deux règnes interdits l'un à l'autre. (…).
Kessel se serait-il bien vu à la place du Lion, protégeant de ses pattes puissantes cette petite fille ? Par ailleurs, si le narrateur précise qu'il ne partage pas les propos racistes de Bullit, le directeur du parc animalier, il ne s'en trouve pas plus choqué que cela ; Cela ne l'empêche pas d'apprécier particulièrement son hôte : « Nous buvions en silence, un silence nourri, bienfaisant. Au milieu d'un monde torride qui semblait sur le point de se dissoudre, il y avait deux hommes protégés par le même toit, accablés par la même torpeur, heureux de la même paresse, avec, dans la bouche et le sang, la même douceur de l'alcool. Deux hommes en plein accord physique et qui sentaient leur amitié croître de son propre mouvement », écrit
Kessel. A propos de « rangers » du parc, ceux-ci sont décrits tels des personnes au rire «barbare » : « les Rangers qui étaient à sa dévotion et dont j'entendais le grand rire puéril et barbare lorsqu'un bond de la Rover ou un chaos ou un virage brutal les projetaient ainsi que des noirs pantins ». Il y a d'autres passages du genre.
le Lion a été édité la première fois en 1958 et ceci explique sans doute cela. Les rééditions inévitables ne nécessiteraient-elles pas une remise en contexte en guise d'introduction ?