Ceux qui suivent mes avis le savent,
Stephen King fait partie de mes auteurs préférés et je reviens régulièrement vers lui. Et j'aime tout autant lorsqu'il écrit sous le nom de Bachman. L'auteur adopte un ton assez différent, plus sombre. Dans "
chantier" on retrouve cet aspect mais ce roman m'a semblé à part dans l'oeuvre de l'auteur, même sous le nom de Bachman.
Le roman est singulier, non pas par l'absence d'élément surnaturel (King a écrit plusieurs livres dénués de fantastique) mais bien par son traitement. Avec l'auteur, on a l'habitude de romans chorale foisonnants où toute une communauté prend vie au fil des pages d'une mise en place souvent très longue. C'est un procédé que King maîtrise parfaitement. Dans "
Chantier" King propose autre chose. Pas de galerie de personnages, le récit est centré sur Bart, le personnage principal. Certes, ce n'est pas l'unique fois où il l'a fait mais, à mon sens, jamais de façon aussi intense. le lecteur est collé aux basques de Bart, comme enchaîné à lui, il ne voit qu'à travers ses yeux, ne ressent que ses émotions à lui. Pas vraiment non plus de peinture d'une bourgade comme cela pouvait être le cas dans nombre de ses romans. Il dépeint la ville où habite Bart, en mettant l'accent sur les changements sociétaux qui y ont lieu, mais au contraire de Derry ou Castle rock, le cadre dans lequel se déroule l'action de "
Chantier" n'a aucune importance, cela pourrait être n'importe où. Il ne s'agit pas d'un lieu qui porte en lui les germes du mal mais une ville comme les autres.
Mais si "
Chantier" est si singulier c'est vraiment dans le ton adopté par King, un ton à la fois vénère et désespéré. Il n'y a pas ici de nostalgie mais plutôt une colère désabusée face à une déshumanisation croissante de la société.
Comme je l'ai dit, on ne quitte pas Bart du début à la fin. On marche dans ses pas, on va jusqu'au bout de son parcours erratique sans jamais adopter un autre point de vue que le sien. "
Chantier" offre un portrait saisissant, d'une grande justesse et d'une grande force, d'un homme au bord de la rupture. Je me suis beaucoup attachée à ce personnage si bien écrit. L'empathie est totale, on en vient à trouver justifiés ses actes déments, ce qui donne un côté cathartique au roman. Mais "
Chantier" n'est pas un roman défouloir, il y a dans ce livre un pessimisme suffocant. On assiste, impuissant, à la chute de cet homme qui ne veut pas, et on le comprend, se résigner à accepter ces changements qui ne sont rien d'autres, appelons un chat un chat, que les résultats de l'ultra-libéralisme : disparition des petits commerces au profit des supermarchés, petites entreprises familiales absorbées et dépecées par des groupes industriels, ère du chacun pour soi, de l'individualisme forcené où plus personne ne se sent concerné par le sort de son voisin... Est-ce Bart qui est en train de devenir fou ou bien le monde ?
Le propos social est fort et, il faut le dire, assez déprimant. Mais l'auteur a l'intelligence d'offrir une fin, attendue car inéluctable, totalement jouissive et qui permet d'alléger un peu le récit en le concluant sur un baroud d'honneur en forme d'exutoire.
"
Chantier" est un roman social énervé habité par un des plus beaux personnages créés par King. Je classe immédiatement ce roman parmi mes préférés de l'auteur.