Lu à haute voix en janvier 2018
Le livre de la jungle est souvent considéré comme un classique de littérature jeunesse – peut-être en raison de l'âge de son protagoniste et de la renommée des adaptations cinématographiques proposées par Disney. Il s'agit en réalité d'un texte subtil autour duquel petits et grands peuvent se retrouver avec plaisir, ce que nous avons fait en lisant à voix haute la première partie consacrée aux aventures de Mowgli. Nous avons ainsi (re-)découvert « l'histoire de Mowgli », dont nous avons apprécié le cadre dépaysant, la belle écriture et les dilemmes.
Avant tout, et nous le savions déjà pour apprécier notre magnifique album illustré des Histoires comme ça (lues et relues !), Rudyard Kipling est un grand conteur. Nous avons été captivés par les péripéties de la jungle dès les premières pages. L'histoire de Mowgli est archi-connue : enfant-loup initié à la loi de la jungle par un ours et une panthère, il est contraint de rejoindre un village humain pour échapper à la vengeance du tigre Shere Kahn mais peine à trouver sa place et à s'identifier aux humains comme aux animaux.
Le livre de la Jungle pose plusieurs questions fascinantes pour les enfants comme pour les adultes, en particulier celle de l'identité de ceux qui évoluent à la frontière entre plusieurs groupes : est-il possible d'appartenir et de se montrer loyal envers deux mondes ? Kipling examine aussi la question des fondements de la société et de ses liens avec les individus qui la composent. Il semble promouvoir un contrat social à la Thomas Hobbes : dans le monde de tous les dangers que représente la vie sauvage, tous ont intérêt à accepter un ordre politique et moral, sous l'autorité d'un « bon chef » comme celui qu'incarne le loup Akela dans l'histoire. La fameuse « loi de la jungle » enseignée par Baloo ne correspond pas au sens commun de « loi du plus fort », mais presque à son contraire : code d'honneur et ensemble de règles et de valeurs, elle réprime les comportements asociaux (s'en prendre aux petits), définit les modalités de règlement des conflits et régit la répartition du gibier et des territoires de chasse. Cette justification de l'autorité bienveillante se retrouve lorsque Mowgli se fait corriger de façon assez musclée par Baloo qui exige qu'il maîtrise ces lois sur le bout des doigts. Cette méthode éducative brutale est présentée comme une marque de l'attachement de l'ours au garçon, dont la sécurité passe avant tout... La morale du livre est donc assez différente des exhortations du film à l'hédonisme et aux plaisirs simples ! Aux animaux fiables et disciplinés appliquant la loi de la jungle sont opposés les hommes, superstitieux et ignorant tout du monde sauvage, mais surtout les singes, le chacal et le tigre, imprévisibles, impulsifs, versatiles, soumis à leurs pulsions et à leurs désirs immédiats et incapables de reconnaître l'autorité.
Que l'on partage ou non cette vision de la société, ces questions sont absolument passionnantes et le récit est moins manichéen qu'à première vue – ou que dans le film. Les personnages sont complexes et travaillés par leurs dilemmes, à l'image de Mowgli qui reste tiraillé jusqu'à la fin entre sa condition humaine et son attachement aux peuples de la « jungle ». le garçon est également partagé dans son rapport à l'ordre et à l'autorité, parfois tenté de rejoindre les singes et leur anarchie. Vif, tenace, intelligent et sûr de lui, Mowgli se montre souvent dominateur, voire violent et vengeur contre ceux qui l'ont menacé ou trahi. le serpent Kaa, hypnotique, est lui aussi très différent que dans sa version Disney. Quant à Baloo, le savant instructeur féru de droit, il a tant de remords d'avoir corrigé Mowgli qu'il me semble que le message transmis prend là encore la forme d'un point d'interrogation.
Les enfants ont été happés par le récit qui se lit très vite et facilement, en dépit d'une organisation du récit un peu perturbante pour eux car ne suivant pas l'ordre chronologique des péripéties. Cette lecture a donné lieu à de vifs débats sur les grandes questions posées par Rudyard Kipling. Les garçons ont, en outre, beaucoup apprécié les vers des chants qui ponctuent le livre de la jungle. Cette lecture n'est pas adaptée pour des enfants trop jeunes : d'abord parce que le style est un peu exigeant, ensuite parce que l'histoire est terrible et parfois violente. La jungle est vraiment inquiétante et j'ai été surprise de ne pas retrouver du tout le décor féérique des films, ni le rêve d'une vie sauvage en harmonie avec des animaux majestueux.
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