"Ici le patron se fâcha et dit de gros mots. On suspendit immédiatement la pêche pour lui répondre, et il lui fallut entendre pas mal de choses curieuses à propos de son bateau et de son prochain port d'attache. On lui demanda s'il était assuré ; et où il avait volé son ancre, parce que, disait-on, elle appartenait au Carrie Pitman ; on appela son bateau une marie-salope, et on l'accusa de décharger de la tripaille pour effaroucher le poisson ; on lui offrit de le remorquer et de l'amener contre remboursement à sa femme…"
C'est que ça chambre ferme, sur le banc de Terre-Neuve où se retrouvent les bateaux de pêche !
Se hélant d'un navire à l'autre, se retrouvant à nombre de doris sur le même coin pour des pêches gigantesques, se connaissant et se reconnaissant, les marins ne sont jamais en reste pour une blague ou un bon tour à faire.
Loin, très loin de ce monde, le jeune Harvey Cheyne est l'enfant d'un magnat du rail en ces années 1890. À 14 ans, c'est un infect petit prétentieux au teint pâle et aux caprices nombreux.
Alors qu'il traverse l'Atlantique avec sa mère et pour avoir voulu faire le malin, il passe par-dessus bord un soir. Il est recueilli par un marin et ramené à bord de la We're Here, une goélette américaine qui file vers le banc de Terre-Neuve et ses morues.
Son capitaine, Disko Troop, croit que l'enfant est un faible d'esprit quand il exige d'être ramené à Boston et garantit une forte récompense. le moussaillon de circonstance devra patienter le temps de la campagne de pêche avant de retrouver la terre ferme.
Le monde d'Harvey Cheyne et celui des marins se télescopent dans une de ces aventures que
Kipling prend un plaisir évident à nous raconter.
L'auteur croque ses personnages en quelques lignes, il décrit le bateau et ses doris, le vent gonflant les voiles ou poussant vers eux une brume inquiétante.
Il explique en détail tous les aspects de la vie à bord, de la pêche avec les doris s'élançant de la We're Here pour aller sur les hauts-fonds, et de cette goélette affrontant les éléments et croisant de gros paquebots comme celui d'Harvey.
Son jeune héros va y découvrir le travail de mousse sous la houlette de tous les membres d'équipage, et se faire un ami pour la vie en Dan Troop, mousse lui-même et fils du capitaine.
J'ai sorti mes bottes et mon ciré, et suivi avec plaisir le quotidien d'Harvey, qui évolue forcément au contact de ces hommes-rudes-mais-bons, roman d'apprentissage oblige.
C'est une lecture très vivante et agréable, de quoi se revigorer sous les embruns avec ce gamin et les marins-pêcheurs dont il partage les aventures !
Seul bémol, le rythme tombe avec le retour sur la terre ferme et une fin qui tire en longueur.
Peut-être que
Rudyard Kipling a eu un peu de mal à laisser ce petit monde de la We're Here repartir sans lui sur le banc de Terre-Neuve…