Invincible, tome 23 : Futur décomposé

Ce tome fait suite à Invincible, tome 22 : Reboot ? (épisodes 121 à 126) qu'il faut avoir lu avant. Il contient les épisodes 127 à 132, initialement parus en 2016, écrits par Robert Kirkman, dessinés et encrés par Cory Walker, et mis en couleurs par Nathan Fairbairn.

Mark Grayson a enfin retrouvé sa femme et sa fille sur Talescria, mais le choc est rude en découvrant Terra. Pour autant, les retrouvailles se passent bien, même pour Samantha qui avait perdu espoir, pour la deuxième fois que Mark disparaissait pour une longue période Tout le monde finit dans les bras les uns des autres, avec les larmes aux yeux. Terra ne tarde pas à s'endormir, et Samantha et Mark peuvent se parler à coeur ouvert. Mark explique que durant son absence il a appris qu'il n'est pas un héros, il n'est pas prêt à tout sacrifier pour sauver des vies humaines, fusse par centaines ou par milliers. le lendemain matin, Samantha et Mark emmènent Terra à l'école, et Mark constate que durant son absence Samantha s'est finalement bien acclimatée à la vie sur Talescria. Une fois Terra déposée, ils vont saluer le Grand Allen qui exprime sa joie de retrouver Mark. Ce dernier demande des nouvelles de son frère Oliver : Allen lui indique qu'il est en pleine forme. Il enchaîne en évoquant la menace bien réelle de Thragg : Mark répond de manière claire en expliquant qu'il ne compte plus participer à des opérations militaires, car il vient de perdre 5 ans de la vie de son épouse. Samantha ajoute qu'ils ont l'intention de se retirer sur une planète éloignée et inhabitée pour passer du temps ensemble en famille.

Le soir, Samantha & Mark se rendent à une fête et Mark retrouve son frère Oliver avec lequel il discute des événements passés. le lendemain, Samantha, Mark et Terra sont prêts à s'embarquer dans leur navette spatiale. Lukka, la maîtresse, arrive juste avant et donne un robot pédagogique pour l'éducation de Terra. Cette dernière décide de l'appeler Eddy. Ils embarquent et le vaisseau décolle. Terra est très excitée par le voyage et finit par s'endormir de fatigue. Samantha et Mark vont se coucher à leur tour. Dans la nuit, Mark se réveille et constate que Samantha s'est levée et est allée se coucher sur un canapé dans une autre pièce. Ils arrivent dans leur demeure retirée à l'écart des autres planètes. Terra s'en va jouer avec son robot Eddy, et Mark essaye de renouer un contact physique avec Samantha en l'embrassant. Elle se dérobe et finit par lui dire qu'elle a eu une liaison avec un autre homme pendant l'absence de Mark. Sur Talescria, la nuit est tombée, Haluma s'occupe de ses jumeaux et s'apprête à aller les coucher. Elle demande à Oliver s'il vient bientôt au lit. Il lui répond qu'il lui reste un appel à passer et qu'il va venir. Il contacte Thragg.

Déjà l'antépénultième tome de la série… Après le tour de passe-passe du tome précédent, bien mené mais un peu artificiel, c'est sans surprise que le lecteur constate que le retour à la maison de Mark Grayson met en évidence qu'on ne peut pas retourner chez soi comme c'était avant, que le temps fait évoluer les choses, ou comme l'a formulé Héraclite (-544 à -480) : on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve. Mark Grayson en fait le constat de plusieurs manières en retrouvant sa femme et sa fille. le scénariste utilise les conventions de la comédie dramatique comme à son habitude, avec libéralité et justesse. Mark Grayson apprend donc que Samantha a connu quelqu'un d'autre pendant son absence et il se retrouve face au monsieur en question. Samantha se retrouve face à Anissa et réagit avec force et colère. Mark, Samantha et Terra doivent apprendre à construire une intimité familiale. le lecteur constate tout de suite que ce n'est pas Ryan Ottley qui dessine car il ne retrouve pas l'entrain habituel, ni les traits de contour un peu appuyés qui donnent une telle vitalité aux personnages. Cette fois-ci, Cory Walker, le dessinateur initial de la série, est de retour pour dessiner les 6 épisodes qui composent ce tome. C'est un peu étrange, car même s'il a défini l'apparence visuelle de la série, le lecteur regrette l'absence de son remplaçant qui a dessiné beaucoup plus d'épisodes que lui.

Dans une situation inversée, Cory Walker (le dessinateur originel) reprend plusieurs caractéristiques de la narration visuelle d'Ottley (le successeur) : l'expressivité des visages, les caractéristiques visuelles de chaque personnage, les dessins clairs et aérés sans être vides, le sens du spectaculaire. Walker sait faire apparaître des expressions de visage qui traduisent l'état d'esprit de l'individu, mais ses sourires sont parfois un peu décalés, teintés d'une forme de raillerie involontaire. Entre autres, Oliver Grayson ressemble à un jeune homme un peu fourbe, lui donnant une saveur d'acteur ayant du mal à jouer son rôle. L'artiste se montre beaucoup plus convaincant avec l'apparence des personnages reproduisant avec fidélité leurs caractéristiques visuelles : la silhouette élancée de Samantha, la carrure massive d'Allen, la dépouille de Thokk sur les épaules de Thargg, l'allure très normale de Rudolph Conners, les anatomies exotiques des races extraterrestres, à commencer par celle d'Haluma, l'épouse d'Oliver Grayson. En prenant un peu de recul, le lecteur doit s'avouer que les personnages que l'artiste réussit le mieux, sont les nouveaux comme Terra, ou les jumeaux de Thargg. Walker se montre très convaincant en décrivant la jeune enfant (5 ans) qu'est Terra, avec un langage corporel et des mimiques correspondant tout à fait à son âge.

Le lecteur peut ressentir le décalage entre l'apparence des dessins Walker et ceux d'Ottley avec encore plus de force, du fait qu'avec un coup d'oeil superficiel, il a l'impression de pages conçues par ce dernier. Cela est dû pour partie à la mise en couleurs réalisée par Nathan Fairbairn, comme dans le tome précédent, ce qui crée une unité entre les deux dessinateurs successifs. Cela peut être également pour partie imputé au fait que Walker construit ses pages d'une manière très similaire à celle d'Ottley, en veillant à réaliser des cases descriptives, avec un bon densité d'informations visuelles, tout en veillant à ce qu'elles soient immédiatement lisibles, sans être surchargées. S'il arrive à se départir de son regret de l'absence d'Ottley, le lecteur peut être en position d'apprécier la qualité de la narration visuelle : l'entrain communicatif de Terra, son interaction avec Eddy, ses mines d'enfant, l'expressivité du visage de la représentante Elia alors qu'Allen s'approche d'elle pour lui clore le bec, le plaisir de Nolan de retrouver son fils Mark, la colère de Samantha vis-à-vis d'Anissa, la sérénité monstrueuse ou méritée de Rex, et bien sûr les différentes phases du combat en plein ciel des 2 derniers épisodes. Walker répand moins de sang qu'Ottley, et il sait l'utiliser avec une efficacité visuelle maximale terrifiante. le lecteur en ressort chamboulé quant au traumatisme occasionné à Terra, et horrifié devant une mâchoire pulvérisée par un coup destructeur.

Robert Kirkman ne se contente pas de recoller les morceaux de la cellule familiale de Mark Grayson, loin de là. Comme dans chaque tome, plusieurs fils d'intrigue s'entrecroisent pour former une riche tapisserie. Même s'il a conscience que la fin de la série est proche, le lecteur est bien en peine de dire comment elle va se terminer. Il est donc complètement impliqué dans l'évolution de la relation de Mark avec Samantha, ainsi que dans la croissance et le développement de Terra. La situation sur Terre constitue un dilemme cornélien non résolu, et le scénariste sait la faire évoluer de manière significative, sans pour autant phagocyter l'attention du lecteur, et faire passer les autres fils pour du remplissage secondaire. L'existence de Thragg revient en force pour mettre à mal les bonnes résolutions du héros. Dans le tome précédent, Mark Grayson a réalisé qu'il n'est pas animé par un altruisme sans borne, jusqu'à en être suicidaire. Il prend donc une décision en cohérence, pour la suite de sa vie. Mais comme cela s'est déjà produit une fois précédemment, il ne peut échapper ni à sa condition, ni à son histoire personnelle. le lecteur se dit à la fois que ce n'est pas juste, et à la fois qu'il faut régler ce problème définitivement. L'auteur met en scène le fait que chaque individu est défini par son passé et sa condition sociale (pour Mark l'identité de son père) et que sa vie s'en trouve ainsi déterminée pour partie par ces paramètres sur lesquels il n'a aucune prise. Même s'il le tient pour acquis, le lecteur se rend compte que le scénariste sait développer des détails de manière organique, et qu'ils prennent de l'importance en faisant écho à un passage dans un tome précédent. Par exemple, en accompagnant sa fille à l'école, Mark mesure à quel point Samantha s'est bien habituée et intégrée à la société de Talescria. Il s'agit juste d'une remarque en passant dans une case, très naturelle. D'un autre côté, le lecteur n'a pas oublié que peu de temps avant, Samantha et Mark avaient fait le constat que Talescria n'est pas leur monde et qu'ils avaient la nostalgie de la Terre. du coup, la petite phrase de Mark constitue le constat de l'adaptation de Samantha, cheminement que lui n'a pas pu faire, et un décalage dans leur ressenti qui peut avoir une conséquence majeure dans leur relation de couple… tout ça avec juste une phrase en passant, du grand art.

Il faut bien l'avouer, il est difficile d'accepter que Ryan Ottley n'ait pas participé à ces 6 épisodes, et il est impossible de ne pas comparer les dessins de Cory Walker avec les siens. Mais très vite, l'histoire prend le dessus, et emporte le lecteur pour une comédie dramatique nuancée et subtile que ce soit pour la dynamique de la cellule familiale, pour le poids de l'hérédité, ou pour les affrontements terrifiants de violence, dans la plus pure tradition des superhéros, sans jamais passer en mode automatique. S'il accepte de prendre un peu de recul et passer outre son admiration pour Ottley, le lecteur veut bien reconnaître que Cory Walker fait un travail plus qu'honorable.

Tome 21 à 25
Relecture terminée et je dois dire que la fin de l'oeuvre me semble encore plus réussie que lors de ma première lecture. Sans doute parce que j'y retrouve encore plus de clin d'oeil et de subtilités dans l'écriture dont j'étais passé à côté lors de ma première lecture.
Le seul point qui me chiffonne encore c'est les passages de Walker au dessin qui est toujours aussi laborieux par rapport à Ottley.
Le travail De Beaulieu est aussi remarquable lorsqu'il est aux manettes.