Je viens de finir "
La leçon du mal" de Yüsuke Kishi. C'est une expérience de lecture qui ne laisse pas indifférent. Qu'on imagine un professeur d'anglais dans un lycée japonais, Hasumi, personnage principal de l'histoire ; un super prof, apte à régler tous les problèmes de l'établissement, adoré par ses élèves, ses collègues et ses supérieurs hiérarchiques ; un bon élément qui sait se rendre indispensable. On va même dire qu'il passe son temps à ça. On va même très vite découvrir qu'il est un peu "borderline". Car sous le masque policé de l'enseignant modèle, se cache un véritable monstre, un des méchants les plus méchants que la littérature a jamais engendrée. Dénué de toute empathie à un point inimaginable, cet être profondément perturbé, chaînon manquant entre le serial killer et le tueur de masse, combine à peu près toutes les vicissitudes de la psychiatrie active - schizophrène, pervers narcissique, sadique, psychorigide, et même HPI et doué d'une imagination prodigieuse et d'une logique machiavélique. Au fur et à mesure de la narration se révèle la peinture d'une boucherie sans précédent dans un établissement scolaire, mais qui, pour plusieurs raisons dont la qualité littéraire n'est pas la moindre, procure un régal de lecture.
La première de ces raisons est sûrement l'écriture en elle-même, difficile à définir. Une écriture descriptive, chirurgicale, pratiquement dénuée de toute métaphore. Ça pourrait être dans la forme le scénario d'une série populaire télévisée, les dialogues d'un manga (les critiques de ce livre font souvent référence au manga) ou de la littérature populaire d'action, un Thriller un peu gore à la danoise...
Cependant, la finesse et la justesse des descriptions des sentiments et de la psychologie des personnages place l'écriture de ce livre bien au-dessus de la littérature policière dans ce qu'elle peut parfois avoir de plus médiocre.
Il y a un ton indéfinissable, une ironie permanente comparable à celle de
Flaubert, ou de
Sade à qui l'on pense beaucoup, particulièrement lors des scènes que l'on peut qualifier d'érotiques, lors desquelles des enseignants dépravés abusent de leurs élèves des deux genres avec une concupiscence très "dix-huitième". Pour ce qui est du flingue et de la chair sanguinolente, Kishi laisse libre cours à une jubilation enfantine et esthétisante de la violence qui n'est pas se rappeler celle de
Tarantino. On est dans le même genre d'univers. Car comme
Tarantino, l'auteur possède ce "je ne sais quoi" qui sait établir une complicité avec le lecteur à qui il adresse des clins d'oeil quasi subliminaux en permanence.
La construction du roman est savante, ingénieuse et surprenante. La narration et d'une très agréable fluidité, même si l'accumulation des noms japonais cause parfois quelques difficultés. Ce n'est pas très grave, car tous ces personnages non pas la nécessaire fonction littéraire de ceux des romans russes. Ici, tous ces lycéens et professeurs ne sont que des pions supplicié sur l'affreux échiquier d'Hasumi. de la chair à canon, que l'auteur sacrifie sur le champ de bataille avec une intense délectation.
Avec tout ça,
La leçon du mal ne manque pas d'intelligence et de profondeur. Portrait en trompe l'oeil d'une société aux pieds d'argile, étouffée par la chappe de plomb des apparences et la médiocrité de ses ambitions, infiltrée par un élément déterioré, un virus, un alien, un gremlin... La rapidité avec laquelle tout part en sucette est réjouissante à souhait, et la vieille recette, qui a déjà largement fait ses preuves, révèle ici de nouvelles saveurs.
J'ai adoré.