Courbe de température
LEUR sang se mêle à un sang inconnu,
leur sang s'unit à un autre sang sous le ciel brûlant de la fièvre.
Leur sang devient mon sang, leurs coeurs battent dans ma poitrine,
leurs rêves brûlent sous mes yeux-
inconnus, ils viennent en moi verser leur sang.
DANS ma gorge
la mer
roule ses flots.
La mer roule sans trêve dans ma gorge
comme le flux et le reflux sur une côte déserte.
LEURS rêves sont à moi,
leurs sensations secrètes se fondent dans les miennes,
leurs désirs, leurs coeurs, leurs sentiments ne font plus qu'un avec les miens.
*
JE lève mes mains
pour saisir dans le noir leur présence étrangère,
je lutte en vain pour faire entrer leurs visages sous mes paupières,
car un voile recouvre mes yeux,
et mes mains retombent, irrésistiblement.
La malédiction du plomb est sur moi
mes yeux sont aveugles comme le plomb
mes mains sont lourdes comme le plomb
- ancré dans l'impuissance
je pars à l'aventure sur des terres sombres, semées de fleurs, que
personne ne connaît.
*
LA neige vole sur mon visage, neige blanche, virginale,
le feu brûle mes yeux, le sel
de la mer brûle mes lèvres-
les shrapnells projettent leur mitraille,
des crevasses
lézardent la terre parmi les herbes noires,
des firmaments s'effondrent dans un air qui s'embrase.
LE sel de mer brûle ma gorge
le feu du ciel consume mon souffle
neige et soleil tourbillonnent dans mes yeux
blancheur immaculée des fleurs les plus blanches.
MES lèvres fendillées sont rougies par le feu
de la houle-
vagues rouges de la mer sous des cieux très hauts
flux et reflux de la mer sur une côte déserte
flux et reflux tâchés de rouge.
*
ILS viennent à nouveau vers moi, ils reviennent,
Ils versent leur sang dans le sombre fourré de ma fièvre.
La force de nombreux hommes coule déjà dans mes veines,
Hésitant, il continue à se battre- hésite, mais continue pourtant.
Je nais à nouveau- mais non d'une femme,
je ne suis pas un, je suis plusieurs, je suis des milliers,
je suis tous les inconnus qui ont donné leur sang pour que vive un
autre homme.
(Poèmes posthumes)
Si le dur labeur n'était pas si proche de moi
et si la chanson quotidienne du prolétaire n'était pas mienne,
je vous parlerais de choses étranges
de pays lointains et d'aventures singulières.
Mes mots auraient alors la senteur
de lieux, de parages et de ports étrangers,
qui monte des cales opulentes des grands vapeurs