Ce roman noir, magistralement préfacé par
Hervé le Corre, débute comme un policier, avec dès les premières pages, une jeune adolescente d'origine polonaise, Masha, lardée d'une trentaine de coups de couteaux, laissée pour morte, et l'arrestation dans les deux heures d'un jeune noir Emmett, qui sera condamné.
A partir de là, la partie policière est quasiment terminée, même si elle réapparaîtra brièvement à la toute fin, avec le contenu du rapport du légiste.
Stewie, adolescent amoureux transi de Masha, est le narrateur choisi par
Richard Krawiec pour relater l'histoire dramatique de Masha. Stewie n'est qu'un anti-héros, lucide sur sa lâcheté viscérale, il revient sur le drame des années plus tard, alors qu'il est devenu on ne sait comment maire de la ville, ce qui lui permettra d'avoir accès aux documents policiers.
Emmett est-il le coupable? En tout cas, il est dénoncé, abandonné par Stewie, mais ils sont tous coupables, Emmet ayant surtout choisi de fréquenter, au mauvais moment, les mauvaises personnes, en l'occurrence Murphy et Doyle, deux jeunes qui finiront comme de vrais délinquants et qui sont probablement les auteurs des coups de couteaux portés à Masha, tout comme Stewie, qui s'est détourné d'elle alors qu'il affirmait l'aimer et qui a pu atteindre les sommets de la lâcheté en l'abandonnant dans son sang, même si peu après il prévient la police.
A travers Stewie, Richard Kraviec dépeint cette Amérique raciste des sixties, où les jeunes commencent à toucher à la drogue, où les immigrés sont ciblés, les femmes battues (elles l'ont mérité), les filles violées et assassinées (elles l'ont cherché), les noirs tous décriés. Masha est présentée comme une allumeuse, une traînée alors qu'elle n'était que beauté et sincérité, à côté de laquelle est tristement passé le malheureux Stewie.
Richard Krawiec s'adresse nommément à son lecteur comme s'il avait besoin de son aval dans son analyse sociologique de l'Amérique de l'époque. Elle n'a pas vraiment changé cette Amérique où les pauvres sont écrasés, les minorités oubliées, est-elle d'ailleurs si loin d'une France où le racisme réapparaît sans cesse, ce racisme qu'elle a illustré si dramatiquement au cours de la guerre en dénonçant les gens, en prenant leurs logements, leurs richesses laissées, mais on ne savait pas, on ne croyait pas que... tout comme Stewie qui vit avec ses remords éternels.
Masha n'aurait-elle pas survécu à ses blessures? Stewie dit qu'elle est partie avec sa famille et, à la dernière page, il lui demande, où qu'elle soit de ne jamais lui pardonner...
Richard Kraviec, par la beauté de son écriture, la finesse de ses dialogue, les images parlantes qu'il donne de cette jeunesse déboussolée, a écrit un très beau roman noir, dur, qui porte avec une efficacité absolue, les pires sentiments.