Ce court roman est tout à fait étonnant !
Agota Kristof, hongroise exilée en Suisse, faisait partie des auteurs que j'avais très envie de découvrir, et j'ai profité d'une visite à la bibliothèque municipale pour emprunter "
Le Grand Cahier", premier tome d'une trilogie consacrée aux jumeaux Klaus et Lucas. Je n'ai pas été déçue, puisque j'ai découvert une oeuvre d'une force insoupçonnée, simple en apparence, mais au contenu particulièrement glaçant.
Ames sensibles, s'abstenir ! Il s'agit d'un roman très dur et sans concession. L'auteur a pris le parti de relater des faits bruts, dans un style dépourvu de toute émotion. Les deux enfants se soumettent mutuellement à de terribles épreuves, se rendent parfois coupables des pires méfaits envers autrui, mais ne portent aucun jugement de valeur sur leurs actes. Leur récit semble presque anodin, les phrases courtes et le vocabulaire simple contrastant avec la dureté du propos. On est frappé par le détachement avec lequel les jumeaux racontent leur enfance meurtrie, qui bascule parfois dans l'horreur la plus complète, avec la guerre, les bombardements et les déportations en arrière-plan.
Agota Kristof dresse le terrible portrait de deux enfants cruels et malfaisants, imperméables à tout sentiment humain, qui se blindent contre les horreurs de ce monde en s'infligeant l'un à l'autre les pires souffrances. Ils se préparent ainsi à surmonter la douleur, ce qui se révélera particulièrement utile lorsqu'ils se verront torturés par un officier à l'occasion d'un interrogatoire "musclé". Remarquablement intelligents, les jumeaux font preuve d'une maturité effrayante, et n'ont rien à envier à leur Grand-Mère en termes de monstruosité (j'ai parfois songé aux charmants petits blondinets du Village des Damnés). Complices en toutes circonstances, ils n'hésitent pas à recourir à la violence lorsque cela leur semble juste, et se montrent en revanche étrangement disciplinés lorsqu'il s'agit de parfaire une éducation académique à leurs yeux encore trop fragmentaire.
De surprenants personnages, donc, qui symbolisent parfaitement les maux de leur époque. Leur inhumanité peut être imputée à des conditions de vie difficiles, ainsi qu'au poids d'un environnement universellement violent. La nourriture se fait rare, et chacun lutte pour sa survie, dans un pays sans nom dont on suppose qu'il pourrait s'agir de la Hongrie. La guerre est synonyme de déracinement, de séparation, et le comportement des jumeaux ne fait que refléter de façon extrême les dérives d'un monde devenu incontrôlable. le roman laisse entrevoir en filigrane les ombres macabres des nombreux destins brisés par le conflit mondial, et aborde de façon remarquablement subtile des thèmes comme le viol, l'exil ou la torture.
J'ai été totalement absorbée par ma lecture jusqu'au dénouement, terrible, qui clôt magnifiquement cette oeuvre poignante, qui fut pour moi une vraie révélation. Je lirai bien sûr dès que possible "
La Preuve" et "
Le Troisième Mensonge", les deux autres volumes de la trilogie.
Brillant et saisissant. Coup de coeur !
Lien :
http://leslecturesdeleo.blog..