Je commencerai par parler de l'édition. En effet, ce que j'ai commandé était l'édition complète de la trilogie, sauf que la présentation ne le précisait pas. J'ai donc lu non seulement
le grand cahier mais également à la suite
La Preuve puis
le Troisième Mensonge, donc la trilogie des jumeaux. Et je pense que l'éditeur triche un peu. Car sur mon édition, il n'est point mentionné qu'il s'agit de la trilogie complète, aussi avais-je commandé en outre les deux autres tomes inutilement donc. Revenons à nos moutons donc l'oeuvre littéraire d'Agota K. Heureusement pour moi je venais de lire
L'Analphabète, ce qui facilite l'entrée dans le domaine de cette auteure.
Je parlerai donc de la trilogie comme d'UN ouvrage.
Une tuerie.
Une telle souffrance.
L'expression d'une douleur, d'une colère et d'une impuissance.
UN ouvrage mais en trois parties et qui se distinguent par leur style. Mais qui ne forme bien qu'un pour enfermer le lecteur dans un récit complexe construit par les mensonges, les vérités, et une littérature qui construit et déconstruit.
Je commencerai par la première partie, soit celle qu'on appelle
le Grand Cahier. A lui tout seul, il déchire, les croyances, les certitudes, les faits établis, donc une certaine forme de vérité. La forme d'écriture choisie par l'auteur est la dépersonnalisation. Les lieux n'ont pas de noms, les différents personnages n'ont que des appellations ou des surnoms, le temps n'est jamais précisé, il y a les étrangers, les occupants, les libérateurs, les menteurs. Au lecteur de vouloir préciser ou pas. On y arrivera facilement, nous sommes en Hongrie, à la veille de la seconde guerre mondiale, elle est envahie et occupée par les Allemands, puis elle est libérée par les Soviétiques, l'Armée Rouge et croyant à une liberté, elle est satellisée, et viendra le temps des purges, puis la déstalinisation, puis l'insurrection hongroise et à nouveau une re-communisation jusqu'aux années fin 80 début 90.
Ce qui est formidable dans ce roman, c'est que jamais Agota ne parle de l'histoire ni de son pays, ni de ses tourments politiques précisément. Et pourtant, elle en parle, elle ne fait que cela. Et pour moi, là est son génie et son talent. Car ainsi, elle réussit à rendre atemporel et aspatial ces crimes, ces horreurs. Alors, Hongrie ? Syrie ? communisme ? islamisme ? elle universalise. Car elle a dépersonnalisé et déshumanisé. Et c'est son second coup de génie. Son écriture, si épurée, si froide, qui parfois ressemble à un compte rendu administratif ou policier à la suite d'un interrogatoire, glaçante, effrayante, indique formidablement que le monde est en train de se détruire car l'humain n'existe plus.
Et pourtant quelle émotion ! Une émotion terrible quand elle évoque l'écriture, sa nécessité, la mémoire, son besoin, les racines, indispensables.
Et quel désespoir car elle tue les seuls êtres capables d'amour, Mathias, le petit garçon, si plein d'amour, si intelligent mais inadapté dans une société conforme et normative.
Une oeuvre dont je parlerais encore et encore tant elle est subtile, sensible, tant elle évoque la douleur de vivre, la souffrance d'aimer, les traumatismes qui ne peuvent pas guérir. Et puis, l'écriture est toujours là. Il faut écrire nous dit Agota. Il faut laisser une trace, une empreinte. Elle nous le dit à travers une grande douleur, une infinie tristesse, mais elle le dit.
Cette lecture s'est finie pour moi dans les larmes. Des larmes d'impuissance, de quelque chose d'inachevé, de détruit et d'irréparable.