Quand il m'a semblé qu’il me comprenait, j'ai continué à pleine voix, je n'avais pas honte. Je sentais tomber de moi les années, les soucis, les chagrins, des milliers d'écailles grises.
Pas plus avant qu'après cet épisode, je n'ai jamais lu de vers à quiconque ; je suis pourvu d'un petit système fonctionnant bien, un coupe-circuit à pudeur, qui me garde de trop me dénuder devant les gens, de leur étaler mes sentiments ; or, lire des vers, pour moi ce n'est pas seulement comme si je parlais de mes sentiments, mais comme si, ce faisant, je me tenais en équilibre sur un pied ; quelque chose de compassé, dans le principe même du rythme et de la rime, m'embarrasserait si je devais m'u abandonner autrement qu'étant seul.
C 'était une énorme grossièreté que d'hésiter sur l'identité d'un visage autrefois tant aimé.
Je sais que vous être un paisible ouvrier sur l 'éternel chantier divin et t'entendre parler de destruction vous déplaît ,mais qui puis-je:je ne suis pas ,quant à moi, un apprenti maçon de Dieu.Au surplus,si les apprentis maçons de Dieu construisent ici bas des édifices en mur véritable ,il n 'y a peu de chance que nos destructions puissent leur porter préjudice .Or ,il me semble qu'à la place de mur je ne vois partout que des décors.Et la destruction des décors est une chose tout à fait juste .
J'avais pris le tortillard, un vieux tramway à voie étroite reliant entre eux les lointains quartiers d'Ostrava, et je m'étais ensuite descendu au petit bonheur pour, au petit bonheur encore, emprunter une autre ligne; toute cette périphérie ostravienne interminable, où se mêlent étrangement les usines et la nature, les champs et les décharges d'ordures, les bouquets d'arbres et les terrils, les grands immeubles et les maisons champêtres, m'attirait et me troublait d'extraordinaire façon; ayant quitté le tram pour de bon, j'entrepris à pied une longue promenade: presque avec passion, je contemplais ce paysage étrange et m'efforçais d'en déchiffrer le sens; je cherchais le nom de ce qui confère unité et ordre à ce tableau disparate; passant auprès d'une maison idyllique enveloppée de lierre, je m'avisai qu'elle avait ici sa vrai place pour cela précisément qu'elle jurait tout à fait avec les hautes façades lépreuses qui se dressaient à son voisinage, comme avec les silhouettes de chevalements, de cheminées et hauts-fourneaux qui lui servaient d'arrière-plan; je longeai les baraquements d'un bidonville, et je vis une villa un peu plus loin, sale et grise il est vrai, mais entourée d'un jardin et d'une grille; à l'angle du jardin, un saule pleureur semblait s'être égaré dans ce paysage - et pourtant, me disais-je, c'est justement pour cela qu'il avait ici sa vraie place."
La véritable religion n'a nul besoin des faveurs de la puissance temporelle.
Puis Vlasta et moi nous allongeâmes au fond du lit et j’avais l’impression que c’était la sage infinité de l’espèce humaine qui nous prenait dans ses bras moelleux.
L’homme moderne triche. Il s’efforce à contourner tous les grands moments qui sont sans retour et à passer ainsi sans payer de la naissance à la mort. L’homme du peuple est plus probe. Il descend en chantant au fond de chaque situation capitale.
L’enivrement que nous vivions est appelé d’ordinaire griserie du pouvoir, cependant (avec un grain de bonne volonté) je pourrais choisir des mots moins sévères : nous étions envoûtés par l’Histoire ; nous étions ivres d’avoir monté le cheval de l’Histoire, ivres d’avoir senti son corps sous nos fesses ; dans la plupart des cas, ça finissait par tourner à une vilaine soif de puissance, mais (de même que toutes les affaires humaines sont ambiguës) il y avait en même temps là-dedans (notamment pour nous, jeunots) la belle illusion que nous inaugurions, nous, cette époque où l’homme (chacun des hommes) ne serait plus en dehors de l’Histoire ni sous le talon de l’Histoire, mais la conduirait et la façonnerait.
L’époque révolutionnaire après 1948 n’avait pas grand-chose de commun avec le scepticisme ou le rationalisme. C’était le temps de la grande foi collective. L’homme qui, l’approuvant, marchait avec cette époque était habité de sensations fort voisine de celles que procure la religion : il renonçait à son moi, à son intérêt, à sa vie privée, pour quelque chose de plus élevé, de supra-personnel. Les thèses du marxisme, certes, ont une origine profane, mais la portée qu’on leur reconnaissait était comparable à celle de l’Évangile et des commandements bibliques. Il se créait un cercle d’idées intouchables, donc, dans notre terminologie, sacrées.