Mais l'intérêt du Salon d'Automne est cette fois dans l'école française elle-même et dans l'école contemporaine. Un équilibre s'établit entre les diverses tendances des années passées : on n'en est plus aux esquisses hâtives d'il y a vingt ans, non plus qu'aux jeux de lignes et de couleurs cubistes. On revient enfin à l'étude de la nature, éternelle maîtresse des artistes. Sans doute il y a encore ici de charmants virtuoses de l'esquisse, comme Laprade ou Camoin, et il y a des théoriciens comme Lhote. Pourtant la plupart des peintres regardent la vie avec une déférence de plus en plus attentive ; on ne s'en tient plus à d'agiles travaux du pinceau ou à de mortes combinaisons de l'esprit ; on veut des réalisations. Les efforts sont nombreux et d'autant plus louables que la plupart de ces œuvres de grandes dimensions, invendables, sont de purs sacrifices à l'art; Nous ne sommes plus aux temps des vastes demeures princières ou bourgeoises : et il n'y a place, dans nos logis modernes, que pour de petites peintures.
Forain va chez Carpeaux, faubourg Saint-Honoré, dans une maison et un atelier qu'il occupera plus tard, où celui qui écrit, ces lignes a vu pour la première fois Forain, en compagnie de Paul Hervieu. Le jour où il se présente, Carpeaux n'est pas là, mais il y a de la terre glaise, des selles et ['apprenti artiste modèle une figurine qu'il laisse là, avec son nom et son adresse. Carpeaux lui écrit de revenir, l'accueille avec transport, s'exclame, lui affirme que c'est magnifique, mais qu'il ne refera cela que dans trente ans.
I. — Chez Forain.
Rue Spontini, n" 3o bis, à Passy, dans un quartier spacieux et éclairé, de maisons nettes, bien raclées, où il y a encore pourtant quelques vieux murs à chevelures de lierre. C'est là qu'habite Forain, depuis vingt-cinq ans, avec sa femme et son fils. Il a connu la bohème artiste, la pauvreté, la misère. Il a supporté tout en blaguant et en travaillant. C'est le travail qui sauve. Il a travaillé sans cesse, fortement, âprement, et il a sauvé son talent et sa vie.
Son exposition de 1879 avec le groupe des Indépendants lui valait d'être mis en parallèle avec les peintres du Salon officiel par J.-K. Huysmans qui fut probablement le premier à discerner l'apport de Forain dans la représentation de la vie parisienne.