Qu'est-ce qu'être allemand ? Est-ce parler la langue de Luther et de Goethe ? Est-ce habiter le territoire soumis à la souveraineté d'un État allemand ? Est-ce se reconnaître comme le produit et l'héritier de toute l'histoire allemande, du Saint-Empire jusqu'à l'Empire wilhelminien de 1871 et au IIIe Reich hitlérien ? Si les réponses à ces questions demeurent si délicates, c'est qu'en Allemagne, à la différence de la France, le peuple, la langue, la nation et l'État n'ont jamais vraiment coïncidé, pas plus d'ailleurs qu'ils n'ont coïncidé avec une claire conscience historique des origines et de la construction du peuple allemand : «Un peuple sans frontières historiques claires, un territoire sans limites géographiques nettes», ainsi que l'écrit Joseph Rovan dans son Histoire de l'Allemagne.
On en veut pour preuve que la désignation même des Allemands dans les grandes langues européennes révèle une indécision et une hésitation sans équivalent. Ce flou provient en grande partie de la mobilité et de la variation considérables qu'ont connues les frontières de l'Allemagne depuis l'Empire médiéval jusqu'à 1990.