J'ai toujours été fascinée par la gymnastique. Quand j'étais petite, je ne ratais aucune transmission télévisée des compétitions, et j'avoue que j'aurais adoré pratiquer ce sport - même si je sais que je n'aurais pas été très douée, puisque je suis une petite froussarde. Donc
Nadia Comaneci, je sais très bien qui c'est. C'est tout simplement LA gymnaste, celle qui a donné une autre dimension à ce sport, celle qui a fait voler en éclats les limites, celle qui a réalisé l'impossible. C'est donc avec beaucoup de curiosité que je me suis penchée sur ce roman, heureuse d'en apprendre davantage sur cette petite poupée parfaite. Et c'est un récit passionnant que j'ai découvert, à la fois sur sa carrière de gymnaste et sur l'état des lieux de ce sport à l'époque, mais aussi et surtout sur le contexte historique dont je n'étais pas du tout consciente. Pour moi,
Nadia Comaneci, c'était une surdouée de la gymnastique, point. Jamais je n'avais imaginé toutes les pressions politiques autour de ses performances et de son entraînement, jamais je n'avais imaginé sa vie après Montréal - la "Maladie" de sa prise de poids d'adolescente, puis plus tard son "idylle forcée" avec le fils du Président roumain. J'ai d'ailleurs été choquée par les réactions des médias de l'époque, rejetant Nadia parce qu'elle était devenue "un monstre", parce qu'elle avait pris trop de poids...!
Sinon, je me doutais qu'elle avait dû subir un entraînement "militaire" pour arriver à ce niveau de perfection, mais ne savais pas dans le détail quel était son quotidien de petite fille. Et c'est à la fois fascinant et effrayant. Fascinant, car on voit que les bébés gymnastes ont tellement envie d'être les meilleures qu'elles se mettent elles-mêmes une pression extraordinaire, et effrayant car on leur impose un rythme et un régime alimentaire inhumains, et on les conditionne pour qu'elles soient dévouées corps et âme à leur objectif de performance. Ce qui est édifiant, c'est que les Occidentaux critiquent ce système d'entraînement intensif mais qu'ils l'appliquent dès qu'ils en ont l'occasion. Ainsi, Béla Karolyi, l'entraîneur de Nadia, est devenu celui de l'équipe olympique américaine pour les J.O. de Los Angeles en 1984 et d'Atlanta en 1996. Je n'ai pas creusé plus que ça, mais si Béla a plus ou moins forcé Nadia à concourir à la poutre avec une main et un bras gravement infectés aux championnats du monde de 1979, la main bandée, au risque de lui causer une chute mortelle, on ne peut que s'interroger en voyant seize ans plus tard Kerri Strug, entorse au pied, s'élancer au saut de cheval malgré sa blessure pour ne pas faire perdre l'équipe américaine aux J.O. d'Atlanta (qui obtiendra d'ailleurs la médaille d'or par équipes). de quoi s'interroger sérieusement sur les méthodes de l'entraîneur roumain...
Plus grave, le roman nous rappelle que la gymnastique reste un sport dangereux, très dangereux même. Ainsi, juste avant les J.O. de Moscou en 1980, Elena Mukhina chute à l'entraînement et se brise le cou, devenant paralysée des pieds jusqu'aux cou à l'âge de 20 ans. Elle meurt à 46 ans des suites de sa tétraplégie. On sait aujourd'hui peu de choses, si ce n'est que ses entraîneurs l'ont forcée à reprendre l'entraînement trop tôt après une fracture à la jambe... Autre histoire tragique, cette de Julissa Gomez : quelques mois avant les J.O. de Séoul en 1988, elle rate un Yourchenko au saut de cheval et se brise également la nuque. Paralysée et avec de sévères dommages cérébraux, elle décédera trois ans plus tard. Il a été établi que le drame aurait pu être évité, car elle n'avait jamais été à l'aise avec ce saut très dangereux, et ça aurait dû être le rôle de ses entraîneurs de ne pas la pousser à le réaliser (pour information, Béla Karolyi a été son entraîneur autrefois, et elle a changé d'entraîneur environ un an avant le drame) Je sais, je ne suis pas drôle, mais je tenais à insister sur cette question du danger de la spirale de la compétition et de la pression des entraîneurs, car ce thème transparaît nettement dans le roman de
Lola Lafon. Lorsque l'auteure nous parle de l'accident d'Elena Mukhina, j'en ai eu la chair de poule :
"Elena tombée quelques jours avant l'ouverture des Jeux, lors d'un entraînement. On murmure qu'elle a été forcée de recommencer trop tôt, avant que l'os ne se ressoude. On ne sait rien de l'accident, sauf ceci : le salto Thomas, sa spécialité, elle l'effectuait à reculons (en se signant en cachette dans le dos de son entraîneur). Un jour je me briserai le cou monsieur le professeur. Non Elena les filles comme toi ne se brisent pas le cou. Les filles comme toi ne finissent pas en fauteuil roulant dans une chambre, la nuque putain de brisée net paralysée du cou jusqu'aux pieds après un super E et il faudra attendre un an puis deux, dix et encore dix avant de crever la veille d'un Noël, des "suites de l'accident".
Nadia plonge, sa jambe en arabesque derrière elle, un long soupir tracé au pinceau. Puis, son pied droit pointé devant, elle se détourne des mortes, des battues, tous ces sanglots de filles fracturées, et posément aligne - flic flac - les cartes de mauvais sort retournées, vaincues, une fois de plus, elle les salue, ils sont debout, follement aimants, bouleversés d'avoir goûté à l'odeur terrible d'un mauvais sort repoussé."
Mais surtout, ce qui me choque, c'est la complaisance des juges, qui laissent faire. Et la "complicité" des spectateurs, qui, quand tout va bien, frissonnent de plaisir devant le danger frôlé du doigt.
Et le texte de
Lola Lafon est formidable car il traduit parfaitement cette hypocrisie de tous, ce tiraillement entre la fascination d'un spectacle époustouflant et des conditions d'entraînement horribles pour des petites filles. La plume de l'auteure est très belle, et elle parvient à nous montrer de la même façon l'enjeu politique qui se cache derrière la carrière de
Nadia Comaneci. C'est un roman passionnant, bien écrit, qui marie subtilement les faits et la fiction.
Seul regret, le fait de devoir se contenter d'un document sans illustrations, sans vidéos. Un roman numérique interactif aurait été très adapté à ce contenu, notamment pour voir en vidéo les exploits cités dans le livre. Je sais que ce n'est pas un documentaire, mais la gymnastique est un sport visuel, et il est vraiment frustrant de ne pas voir ce qui est décrit. Vous trouverez donc sur mon blog une petite compilation de liens vers des vidéos évoquées dans le roman ou relatives au roman.
Lien :
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