J'apprécie énormément les romans et nouvelles de
Marie-Hélène Lafon, le déclic s'est fait à partir de la lecture de
L'Annonce, j'ai tout lu depuis et découvert bien des points communs entre mon parcours et ces
histoires notamment dans
Nos vies qui est pour moi, le meilleur de son oeuvre. Des points communs liés à la géographie de l'Auvergne dans laquelle nous avons grandi mais pas que.
J'attendais donc tranquillement et impatiemment son dernier roman que j'ai lu deux fois afin de bien le cerner mais qui ne m'a pas fait frémir comme
Nos vies.
C'est un roman court construit en trois chapitres donnant la parole à trois personnes différentes : Claire et ses parents paysans dans le Haut-Cantal, une chronique étalée sur soixante ans.
C'est la mère qui ouvre le roman durant un week-end, celui du 10 et 11 juin 1967. Nous sommes projetés dans ses pensées et petit à petit, elle nous révèle son drame. Elle nous partage ses mots sur ses maux, ses ressentis. Alors que son corps, à trente ans, est déformé par trois grossesses rapprochées et trois naissances éprouvantes par césarienne, il subit en plus, les coups, les roustes de son mari. Mais elle garde le secret, par honte et par orgueil d'être la maîtresse d'un beau domaine paysan, sur la commune de St Saturnin, depuis 1961 quand elle a signé à Allanche chez le notaire. le dimanche, c'est le rituel du déjeuner chez les parents à Fridières : l'occasion d'avoir des nouvelles des uns et des autres, des enfants de la divorcée la Marissoux, de prendre connaissance du projet volailler de sa maman. C'est alors le déclic, elle craque, elle a peur pour ses enfants et se confie à sa mère, plus jamais elle ne retournera à la ferme, elle qui n'a pas de prénom prends son destin en mains.
Ce chapitre est dense, intense et écrit dans le style habituel de l'auteur que l'on retrouve avec plaisir, mais en voulant réduire le pathos,
Marie-Hélène Lafon a effacé l'empathie que le lecteur aurait pu avoir pour cette femme maltraitée et ses trois enfants, Isabelle, Claire et Gilles.
Pour le second chapitre, nous voyageons dans le temps et nous découvrons les ruminations du père, sept ans plus tard, en 1974, jour d'élection présidentielle. Il repense à la séparation en 1967 puis au divorce trois ans plus tard, à sa tante Jeanne qui l'appelait Pierrot, à ses enfants et sa ferme qui n'aura pas de suite mais des héritiers. Il nous dévoile ses mots sur ses maux, ses ressentis. Il nous révèle sa mentalité et là, l'écriture opère sa magie car cet homme apparait horrible dans son mépris des autres, son manque d'empathie, ses jugements à l'emporte-pièce, sa personnalité auto-centrée et obtuse, son obsession pour sa ferme.
Pour le troisième et dernier chapitre, grand saut en avant, nous retrouvons Claire, la seconde fille, en 2021. le père est décédé depuis quelques mois, c'est l'automne, Claire est dans la cour de la ferme, devant la maison. Elle y a souvent pensé, elle retrouve sa source pas ses racines, la source, ce terme semble mieux lui convenir car plus fluide, évolutif par rapport aux racines figées et puis il y a cette rivière, sa rivière, animalisée, qui feule, en contrebas, la Santoire. Elle revoit ses années de petite enfance ici, les vacances partagées, elle songe à sa fratrie qu'elle va retrouver pour signer l'acte de vente de la maison chez un notaire à Murat. Les héritiers laissent la place à une nouvelle famille vivant sur une commune voisine et qui viendront peut-être habiter le domaine. Elle arpente la cour, les feuilles de l'érable crissent sous ses pas, elle revoit tout. Elle n'oublie rien.
C'est ainsi que se clôt le roman. Je ne serais pas dithyrambique comme d'autres personnes ici, car certes
Marie-Hélène Lafon a une belle écriture, égale à elle-même mais le roman se clôt trop vite. L'innovation est dans la construction du roman, trois instantanés de la famille comme trois photos Polaroïd reliées entre elles par l'un des personnages principaux dissimulé mais tellement présent, énorme : la ferme à travers le temps. Quant aux sources évoquées, celles de l'auteur, que je connais un peu, elles sont habilement mélangées à l'histoire de cette famille. La source c'est Lafon, son éthymologie et elles sont doubles.