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sur 1150 notes

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Ce court roman d'une petite centaine de pages plonge le lecteur dans le décor champêtre du Cantal, au début des années 60. C'est là, dans une belle ferme, moderne pour l'époque, que vivent une mère, son mari et leurs trois enfants. Au fil des pages, Marie-Hélène Lafon dresse le portrait d'une famille d'agriculteurs en trois actes, où chacun va recevoir la parole sur une période allant de 1963 à 2021.

Une chronique familiale narrée à trois voix qui débute pourtant dans le silence. Sieste du mari oblige, tout le monde se tient à carreaux, surtout la mère, qui profite de ce petit moment de répit, avant que reprennent les brimades et les coups. C'est elle qui reçoit en premier la parole, elle qui subit quotidiennement la violence du mari, elle qui s'est retrouvée piégée dès son premier jour de mariage.

Lors du second chapitre, plus court, Marie-Hélène Lafon nous plonge en 1974, au coeur des pensées de ce mari qui fait vivre sa ferme tout en détruisant sa famille. Un point de vue qui n'excusera rien, mais qui contribue également à dresser le portrait de cette France rurale de l'époque.

Le roman se termine en 2021, en compagnie de l'une des filles, devenue adulte, qui vient refermer les grilles de cette bâtisse que la fratrie s'apprête à vendre. Une dernière page qui se tourne sur tant de souvenirs et sur cette histoire familiale qu'il est grand temps de laisser derrière soi.

Derrière ce titre qui évoque les racines tout en y insufflant immédiatement une promesse de liberté, se dissimule le journal d'une femme battue, prisonnière d'un contexte social, menottée par l'orgueil et la nécessité de sauver les apparences. Un texte (trop) court, finement ciselé, qui dépeint avec grande justesse la dureté de ce monde agricole, ainsi que la condition féminine dans cette France rurale de l'époque.
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Les sources…polymorphes…Lorsqu'une union est à la fois source de vie et source de tragédie…lait et poison…eau chaude et eau glacée.


« Elle préfère le mot source au mot racine »…Oui, le titre du livre est bien trouvé, il y a sans doute dans le mot « source » une fluidité, un espoir de changement et de déviation, une promesse de vie, d'ondulation et d'irisation moins paralysantes et oppressantes, moins sombres, que le terme de racine qui maintient et rigidifie, sous terre…


La source…Source de vie, berceau de l'enfance, nouvelle racine qui permet à l'arbre familial d'avoir de nouvelles branches, terre natale là où tout commence pour les enfants et où éclosent les premiers souvenirs…Cette source, ondoyante, vivante, frétillante, celle-là même, ce premier lait, peut pour certains parents constituer le premier poison, la source ineffaçable du mal, du chagrin, de la douleur, là où tout se casse et se termine. Racines mortifères, asphyxiantes tenant à distance la joie et le printemps…
Comment est-il possible de vivre à la fois ce bonheur d'être parents et ce malheur de devenir moins que rien, juste un tas, un tas malaimé, humilié ? En donnant la vie avec quelqu'un de tyrannique et d'odieux qui transforme le bonheur primaire en drame viscéral. Qui rabaisse l'épouse la faisant passer du statut sublime de mère à celui pathétique de chose inutile, non aimable car laide et plus désirable du fait d'un corps déformé par trois césariennes successives, par les coups, par les mots aussi, surtout, qui font « autant de dégâts que les coups, peut-être même davantage parce qu'ils ne la lâchent pas et lui tombent dessus au moment où elle s'y attend le moins, quand elle pourrait être à peu près tranquille et penser à autre chose ». Un corps tel un morceau de viande. Une vache qui ne cesse de ruminer.

Telle est l'histoire de violence conjugale racontée avec pudeur par Marie-Hélène Lafon, une écriture au cordeau, précise et simple, allant à l'essentiel, sans circonvolutions ni fioritures, à l'image de sa terre natale du Cantal. Une écriture du terroir, âpre et fertile à la fois, sincère et dure, sans pathos ni grandiloquence.

Le premier chapitre s'ouvre en 1967 sur deux journées qui vont tout faire basculer. Nous sommes dans la tête d'une mère de trois enfants encore jeunes qui, tout en vaquant à ses occupations de femme au foyer - ménage, repas, bain des enfants, repassage – au sein de sa vaste ferme en pleine campagne ne cesse de penser à sa situation, à ses peurs permanentes, aux humiliations subies et ses quelques moments de respiration…lorsqu'il n'est pas là. Lui, son mari. Comment a-t-elle pu en arriver là, comment a-t-elle pu signer devant le maire puis devant le notaire, alors que des signes précurseurs auraient dû l'alerter, son propre père lui avait fait la remarque d'ailleurs, la veille de son mariage, certes elle allait vivre dans une belle ferme mais décidément il n'aimait pas la façon dont son futur mari portait le regard sur elle. Pourquoi n'a-t-elle pas écouté son instinct ? Comment peut-elle à présent accepter cela et tenir, sauver les apparences ?
Pourtant, malgré le milieu, malgré l'époque, malgré les rumeurs, malgré l'image de mollesse et d'incapable qu'elle finit par porter comme une seconde peau enveloppant son corps devenu gros à force d'y cacher ses craintes, elle va avoir le courage de dévier la source, de rompre les racines.

Le second chapitre se situe en 1974 et plonge cette fois dans les pensées du mari désormais seul dans la ferme. Ruminations paralysantes sur ses incompréhensions, sources d'insomnies, qui gonflent l'homme de violence larvée. La satisfaction d'avoir gagné du fait de cette notion qui jette l'opprobre sur son ex-femme : le fameux abandon du domicile conjugal. Même si il y les coups, c'est vrai, mais elle l'énervait tant, après tout, toujours à être molle et inerte, à ne rien savoir faire. Il aime les femmes à personnalité pas les chiffes molles. Oui, il a eu des faiblesses, il le reconnait, mais tant de travail, tant de fatigue…Ces pensées du père apporte beaucoup au récit et évite notamment tout pathos, tout manichéisme, même si d'excuse le lecteur ne lui en donnera pas.

Enfin, le livre se termine en 2021, par le retour à la ferme familiale de l'une des filles, Claire, désormais quinquagénaire, qui fait le tour de la bâtisse avant sa vente et dont les souvenirs affluent.

Un récit en trois actes à l'écriture tranchante qui sait brillamment instiller les pensées dans l'action, la suspendant quelques instants, les laissant venir pénétrer, perturber, tout envahir jusqu'à la pétrification. Soliloque incessant, vagues tempétueuses, entre et pendant les gestes, mécaniques. C'est un procédé que j'aime tout particulièrement, friande de ces soliloques comme le manie avec génie un auteur tel que Lobo Antunes (je sais, encore lui…).

« La corbeille à linge est presque pleine. Elle se tient dans l'allée du jardin et secoue la tête pour ne pas penser à ces six premiers mois de son mariage, de janvier à juin 1960, où elle habitait Soulages. Elle se souvient et ça cogne de tous les côtés. Elle a été enceinte tout de suite, Isabelle est née le 30 novembre 1960, onze mois jour pour jour après leur mariage. Les deux combinaisons, le chemisier, la jupe ; elle les dépose sur le dessus de la corbeille ; elle ne reconnait pas son corps que les trois enfants ont traversé ; elle ne sait pas ce qu'elle est devenue, elle est perdue dans les replis de son ventre couturé, haché par les cicatrices des trois césariennes. Ses bras, ses cuisses, ses mollets, et le reste. Saccagé ; son premier corps, le vrai, celui d'avant, est caché là-dedans, terré, tapi. Il dit, tu ressembles plus à rien. Il dit, tu pues, ça pue. Et il s'enfonce ».

Un roman court mais d'une puissance incroyable sur les violences conjugales, une lecture en apnée, témoin d'une époque où la résignation le disputait à la révolte et au changement, et pourtant, une violence, hélas, encore d'actualité.

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« …trois enfants, trois prénoms,trente-trois hectares, trente ans. »,
« Il dit , tu ressembles plus à rien. Il dit , tu pues, ça pue. Et il enfonce ».
«  Elle va avoir trente ans et sa vie est un saccage, elle le sait, elle est coincée , visée avec les trois enfants…. »,
Il , c'est l'animal, celui qui tourne autour d'elle et que malgré qu'il cogne et ses insultes, il faut qu'elle serve et laisse faire. Il , c'est le seul qui parle, le seul qui s'octroie le droit de parler et de la cogner. Elle, elle doit se taire par honte et convention sociale. Pourtant elle l'a su dès le début, quand il s'est déchaîné 15 jours après le mariage, elle s'est sauvée…elle n'aurait jamais dû revenir…..Nous sommes en 1967, dans un milieu rural, dans une ferme dans le Cantal, la région d'origine de l'écrivaine.Une de mes écrivaines françaises préférées , Lafon avec son dernier livre tape fort avec un sujet pourtant banal, la violence conjugale. Eh oui comme je me répète la forme est primordiale en littérature et le style de Lafon me plait à mourir. Avec une économie de mots tout est exprimé avec réflexions et émotions ou non émotions. En trois parties , cinq jours répartis sur trois années 1967, 1974, 2021, et trois narrateur en style indirecte, tout est dit en cent vingt pages. Aucune tendresse, amour encore moins, l'âpreté d'une liaison conjugale , d'une famille, des hommes, un frisson nous traverse tout le long de la lecture. On y entrevoie après mai 68, l'évolution de la femme au sein de la société et le triste compte rendu du déclin de l'activité agricole, qui signera aussi la fin d'une ère et d'un monde paysan attaché à sa terre qui disparaîtra à jamais . Quand à la source, les sources, l'oublie-t-on ? Les oublie-t-on ? C'est la dernière partie. J'aime beaucoup le style et les livres de Lafon, elle est vraiment unique avec ses sujets et ses personnages.
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En une centaine de pages, quatre dates et trois chapitres, Marie-Hélène Lafon interroge la condition féminine en racontant la vie quotidienne d'une femme victime de violences conjugales.
Nous sommes en 1967, le samedi 10 juin précisément, dans une ferme isolée située dans la vallée de la Santoire. Trois enfants, Isabelle, Claire Gilles respectivement âgés de 7, 5 et 3 ans y vivent avec leurs parents.
La famille pourrait avoir une bonne vie dans cette ferme de 33 hectares, comptant 27 vaches. Ils possèdent un tracteur, une voiture, emploient un vacher, un commis et une bonne, des choses que peu d'agriculteurs possèdent dans cette France rurale des années 1960.
C'est la vie de la mère de famille que Marie-Hélène Lafon va s'attacher à décrire, la vie de cette femme qui a été heureuse dans sa jeunesse auprès de ses parents agriculteurs et qui, depuis son mariage il va y avoir huit ans, subit les violences répétitives de son mari. Son corps brisé par les coups, abîmé par trois césariennes est saccagé, dévasté…
Tout se passe à huis-clos et par honte, elle tait et cache ce qu'elle subit. Seuls ceux qui travaillent pour eux et que le père paie savent, mais leur rang ne les autoriserait pas à parler.
Sa vie devient de plus en plus intenable mais quitter la ferme, divorcer est rarissime et quasi impensable à cette époque. Elle rumine, elle ressasse jusqu'à ce déjeuner dominical chez ses parents, ce dimanche 11 juin qui sera un jour de grande bascule.
La nécessité de sauver ses enfants pour qu'ils mpuissent vivre et exister hors la peur lui donne la force de s'ouvrir à sa mère, mère qui entendra ses propos.
« Elle dit que c'est fini, qu'elle ne remontera pas, plus jamais. »
Cessation de la violence et nous voilà au dimanche 19 mai 1974, jour de l'élection du président Valéry Giscard d'Estaing auprès du père qui dort seul depuis sept ans depuis ce 11 juin précisément juste après la guerre des six jours. Les dates il les a toutes dans la tête… Et il ressasse… ce qui le dérange c'est cette drôle d'époque qu'on vit depuis mai 1968, le monde chamboulé avec « les femmes qui veulent prendre la place des hommes »…
Un jour de souvenirs et de questions.
Le roman se termine le jeudi 28 octobre 2021 avec le retour de Claire à la ferme ou plutôt dans la cour de la ferme avant le rendez-vous chez le notaire pour la vente de la maison, « la dernière étape, la dernière démarche, la dernière formalité ». Un retour à l'une des sources…
Inspiré librement de l'histoire de sa propre famille, Les Sources de Marie-Hélène Lafon s'avère un magnifique roman sur la condition féminine dans les années précédant mai 1968, récit ancré à nouveau dans ce Cantal que l'autrice connaît si bien. Elle restitue au plus juste la France rurale de ces années-là. Une nature belle, âpre, odorante et tactile.
Sans aucun voyeurisme ni aucun pathos, avec son style sobre, économe et tellement ciselé, elle parvient à décrire la souffrance aussi bien morale que physique éprouvée par cette femme qui vit avec la peur de son époux chevillée au ventre et qui parviendra malgré tous les impacts que cela aura forcément sur sa vie à le quitter.
Les Sources de Marie-Hélène Lafon est un roman d'une extrême concision mais d'une grande puissance qui ne peut laisser insensible !
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10 juin 1967. Dans 3 semaines, elle aura 30 ans. Déjà 3 enfants, Isabelle, Claire et Gilles. Une belle ferme, un commis, un vacher, une bonne. Et le permis de conduire qu'elle est heureuse d'avoir passé. Pour un semblant de liberté. En ce samedi ensoleillé de juin, elle regarde ses filles jouer sur les balançoires. Des filles dont elle sent qu'elles s'échappent déjà un peu. Elle se réjouit d'aller manger chez ses parents le lendemain, à Fridières. Au moins là-bas, Franck, son mari, se tait. Il mange et se tait. Et n'a pas le dessus comme il l'a chez eux. Son père l'avait pourtant plus ou moins mise en garde, lui affirmant qu'il n'aimait pas la façon dont Franck la regardait. Elle aurait dû l'écouter. Parce qu'aujourd'hui, elle ne fait que semblant. Semblant d'être heureuse, d'avoir un bon mari. Semblant de ne pas entendre ses cris, de ne pas avoir mal lorsqu'il frappe...

En cinq jours, narrés dans les années 1967, 1974 et 2021, Marie-Hélène Lafon nous laisse entrevoir la vie, entre la ferme de Fridières et celle de Soulages, séparées par un ruisseau. En 1967, l'on fait connaissance avec la mère qui, par le truchement d'une voix narrative, livre ses émotions et ses sentiments. Bien que taiseuse et bercée par le silence qui s'impose, elle dévoile, tout en retenue, nommant à peine les gestes ou les paroles, ce qu'elle subit au coeur de son foyer. Ce ne sera que 7 ans plus tard que l'on saura ce que pense le père, Franck. Il donne à voir de ses ruminations, de la décision de la mère (dont on ne saura plus rien), de sa hargne, de sa bile, de ses justifications, de son mépris pour son fils. Puis un saut en 2021 nous ramène devant la ferme, en compagnie de Claire, étonnamment nostalgique des années passées à Soulages. Trois époques, trois chapitres inégaux, le premier de plus de 80 pages, le dernier couvrant tout juste 4 pages, qui donnent à voir, à ressentir, en peu de mots, la violence au quotidien, la dureté du monde paysan, le courage de s'émanciper. Un roman court, marquant, dont l'écriture ciselée et l'ambiance que l'on devine tendue, oppressante, renvoient à ce sentiment d'urgence et de liberté...

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Dans sa vie de jeune fille rien ne l'avait préparée à ce qui allait suivre. Mais qu'elle femme est préparée à subir un mari violent qui ne l'a jamais aimée ? Juste épousée faute de mieux ? Mais peut-être que plus volontaire, elle aurait pu s'imposer, refuser les grossesses rapprochées, au point d'avoir un corps qui les dégoûte, lui comme elle. Où donc sont les sources du mal ?

Une grande qualité de ce texte, hormis sa concision, est qu'il ne pas sombre pas dans le manichéisme. Car Marie-Hélène Lafon, qui connaît beaucoup de la vie paysanne, et de la psyché humaine, nous fait vivre de l'intérieur les tourments d'un homme et d'une femme qui sont coincés entre des aspirations contradictoires. Deux êtres incompatibles. Une femme sans nom, sorte de victime universelle de la violence masculine, face à un homme qui n'aurait jamais dû l'épouser.
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Les sources un roman déjà abondamment noté et critiqué sur Babelio, un roman assez court, mais riche grâce à cette écriture qui ne s'attarde pas sur les détails, qui va à l'essentiel, directe, précise.
Deux aspects de ce roman qui m'ont incitée à aller vers la version audio lue par Véronique Vella, et c'est un choix que je ne regrette absolument pas. Il y a d'abord la voix de la narratrice, parfaite , qui met en valeur les mots qu'elle prononce, sans en rajouter, sans jamais passer au mélodrame. Elle est dosée,de façon très juste : les émotions sont transmises, les sentiments éprouvés par les personnages se ressentent dans la voix, sans qu'elle n'appuie trop. Et c'était la tentation dans cette lecture, au risque de dénaturer les mots de Marie-Hélène Lafon.

Le sujet du roman, je pense que tout le monde le connait. Une ferme dans les années 60, un peu isolée, une certaine aisance, trois enfants bien portants, tout aurait pu être pour le mieux, mais la mère, la femme ne vit pas, ne vit plus. Elle subit l'homme, elle a perdu toute confiance en elle, tout considération pour elle-meme. Elle emploie pour parler d'elle les mots même du mari qui la dévalorisent. Elle a tenu, par orgueil surtout, Deux jours vont se passer dans la tête de cette femme, deux jours cruciaux qui verront son destin changer.
Deux courts chapitres vont clore le roman L'homme d'abord , seul, quelques années plus tard. Il n'a pas changé. Enfin, une des filles qui viendra en 2021, le jour de la vente de la maison, tourner définitivement la page .

Un roman âpre comme la terre de cette campagne, une écoute ponctuée entre chapitres des bruits de la nature, les oiseaux et l'eau qui fait écho au titre de ce roman.
J'ai vraiment apprécié cette écoute. Merci à NetGalley et aux éditions Lizzie #LesSources #NetGalleyFrance
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En trois jours et autant d'années, l'auteure m'emmène à la campagne, la France profonde celle du St-Nectaire. 1967, une exploitation fermière, ça sent la vache, ça sent le fromage. Et dans cette fragrance paysanne, lorsque les volets se referment à la nuit tombée, des coups et des silences. Lourds à porter, les maux deviennent de plus en plus suffocants pour cette épouse. Ce sont ces mots que je devine à travers ses pensées et ses silences, c'est son histoire, celle d'une femme-épouse, trois enfants en trois ans, dans une ferme d'un petit village du Cantal qui décida un jour de 1967 de ne pas revenir au foyer. Un dimanche ordinaire à la ferme.

Elle se sent seule dans cette ferme, elle ne comprend plus, elle ne se comprend plus. Elle ne reviendra plus, quoi qu'en disent sa mère, les voisins, le village. Trop de violence entre les lignes. Et le courage d'affronter enfin ces regards.

Petit saut dans le temps avec l'année 1974, Giscard d'Estaing joue de l'accordéon, et je retrouve les silences de l'homme, une autre vision de ce qui s'est passé au sein de ce couple, dans l'antre de la ferme. Il ne comprend pas lui non plus. Il sait juste que ce n'est pas de sa faute. A cette époque, c'est toujours la faute des femmes. Alors il ressasse cette fin, avec aigreur. A chacun son rôle, à chacun sa place. Alors il compense par le travail à la ferme. S'agrandir à tout prix, pour survivre, pour réussir. Toujours plus de St-Nectaire.

Gros saut dans le temps, c'était hier, en 2021, que le temps passe vite, la cour est vide, la maison fermée. Les enfants retournent aux sources, la ferme est à vendre mais les souvenirs reviennent. On n'oublie jamais les sources. Celles de ses racines, celles de sa vie.

Un parfum de St-Nectaire autour de ces trois dates clés dans le Cantal. C'est court, mais c'est bon, mais c'est brut. Ça prend à la gorge, comme un malaise, les silences de la ferme. Une vision de la femme, de l'épouse, du couple, de l'époque, de la France profonde sur une musique à l'accordéon. Les sources, un paysage sec, sans sourire.
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Oups, je l'ai croqué de Proust, la madeleine ! D'abord par le fond bombé, strié et un peu grillé comme le sont les sillons ensoleillés des coteaux du cantal du côté d'Aurillac, berceau de ma filiation.
Puis je l'ai retourné pour mordiller la bosse moelleuse, petit moment de nostalgie savoureuse où quelques miettes sont tombées sur la toile cirée de la table de la cuisine encore encombrée du roman-photo « Nous-Deux » de ma mère. L'Ami 6 de mon oncle n'était pas encore entrée dans la ferme sinon j'aurais entendu le chien aboyer après les pneus aux flancs blancs qu'il voulait mordre.
C'étaient les années 60-70, ma génération tamisée au filtre de mes souvenirs.

Bien qu'il y ait déjà tout ça dans le roman de Marie-Hélène Lafon, il y a plus.
Un peu plus de brutalité, il y a un poil de Franck Bouysse dans ce Lafon là. Des poils de bête, une toison d'homme à l'ADN ombrageux, aux poings serrés toujours prêts à cogner.
C'est ce qui m'a fait grignoter nerveusement du bout des dents les bords saillants presque caramélisés de ce qu'il me restait du gâteau mythique, mes doigts s'y enfonçant de l'inquiétude naissante d'un drame annoncé.

Ce roman est peut-être un peu long à démarrer mais c'est certainement ce qui donne le charme de l'immersion dans cette famille où la mère des trois gamins est submergée par la peur récurrente. Mal mariée, elle l'avait été avec la bénédiction de sa mère. Tu penses, un gars costaud et travailleur avec des parents propriétaires terriens dans la bourgade d'à côté.

Bref, je ne vais pas raconter, Marie-Hélène Lafon le fait très bien avec ses phrases baignées de l'authenticité du terroir, de la justesse de la France profonde de l'époque, de l'hypocrisie de clocher, de la bien-pensance et du « qu'en dira-t-on ».

A une nuance près : les cent et quelques pages de ce roman défilent si vite que le dénouement courageux bien que banal provoqué par la mère n'est pas si bien peaufiné que ça par l'auteure mais procure malgré tout un maigre soulagement. C'est d'ailleurs ce qui m'a aidé à digérer ma madeleine proustienne qui sans ça, me serait restée sur l'estomac.

Après le roman « Histoire du fils », plutôt que « Les sources », je l'aurais nommé « Histoire de la mère » ou plus simplement « VDM » …Vie de mère.






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La source de Marie-Hélène Lafon est la Santoire dans le Cantal. La source vivante, sinueuse, capable de sortir de son lit pour se dérouter. Rivière qui enfle, se gonfle de colère et de révolte. Ose soudainement quitter sa voie si bien tracée.
Il me tardait de découvrir cette autrice, après toutes les excellentes critiques déjà rédigées sur ce livre. Très court, il va droit au but. Les phrases sont ciselées au scalpel, la langue est économe, rugueuse, on fait avec peu, on se contente de ce qu'on a. La vie est dédiée au travail, à la terre, aux animaux. Dans cette ferme perdue dans le Cantal et dans les années 50, tout être vivant justifie son existence par son utilité. Pas de place pour les fainéants, les mous, les rêveurs.
Trois parties, la mère, le père, une fille. le lien entre tous ces personnages, invisible et omniprésent, la ferme.
1967 : La mère et sa souffrance, les humiliations et les coups quotidiens d'un mari violent.
Le ventre de la mère, symbole de vie, n'est plus que plaies, cicatrices, il ne fait qu'attirer les coups de l'homme violent. D'ailleurs, elle s'était fait ligaturer les trompes sur conseil du médecin pour être bien sûre qu'il n'y poussera plus d'espoir. La joie s'est depuis longtemps tarie. La mère tente un nouveau départ en quittant cette vie de paraître mortifère.
1974 : le père, après le divorce, le souffre-douleur a tout quitté, la ferme et le bonhomme.
Le père n'a pas bien compris, pourquoi est-elle partie la grosse vache, toujours à se plaindre, incapable de s'occuper des trois gosses et de tenir correctement la maison, alors qu'elle n'avait que ça à faire.
2021 : Une des filles adultes clôt l'histoire, le père si malaimant, maltraitant est mort, la ferme va être vendue, elle n'a même pas l'envie ni le courage d'y entrer.
Tout en retenue, pudique, le récit serre la gorge.
Avec un certain détachement, sans prendre parti, Marie-Hélène Lafon relate, décrit factuellement, autopsie les âmes et les corps, dépèce sans rage mais avec méthode. Tout est là, précis, réduit, mijoté, infusé depuis de nombres années. La colère sourde des entrailles de la mère comme la source jaillit de la terre.
Encore un peu sous le choc de cette rencontre, je me promets de découvrir d'autres romans de Mme Lafon…
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