« Vous écrivez les jeunes filles qui disparaissent. Vous écrivez ces absentes qui prennent le large et l'embrassent sans en trier le contenu, élusives, leur esprit fermé aux adultes. Vous interrogez notre désir brutal de les ramener à notre raison. Vous écrivez la rage de celles qui, le soir, depuis leur chambre d'enfant, rêvent aux échappées victorieuses, elles monteront à bord d'autocars brinquebalants, de trains et de voitures d'inconnus, elles fuiront la route pour la rocaille. »
Ainsi commence ce roman dont l'histoire réelle de
Patricia Hearst, enlevée en 1974 par un groupe révolutionnaire (SLA), est le point névralgique d'un lieu de crise et de questionnements au sujet de la liberté. Dans un rapport au temps, une sorte de dialogue s'établit entre les années 70 et nos jours exposant l'impossibilité de définir ce qu'est la liberté sous toutes ses formes, car liberté et emprisonnement vont souvent de pair : la liberté de conscience qui peut surgir au gré d'un événement, d'une rencontre (une personne, un livre, une oeuvre d'art...), mais aussi la liberté de choisir sa propre prison à travers l'emprise religieuse, politique, familiale, sociétale. Certaines révoltes, certaines décisions irrévocables liées à la prime jeunesse sont coalescentes au refus d'être soumis à une vie que l'on n'aurait pas choisie, à la mauvaise foi des politiciens, à la rupture avec les parents, l'enseignement mais aussi, à l'attrait de certaines utopies qui sont rassurantes puisqu'elles offrent toujours une réponse aux multiples questions existentielles. Aussi, ces choix radicaux ou non, peuvent davantage ressembler à une autre forme d'emprisonnement mais choisi celui-là et donc dressé comme une victoire face à une société sans idéal, sans véritable projet commun et qui vit frileusement.
Ce récit est une sorte de lettre adressée à une femme âgée, Gene Neveva qui en 1975, a été invitée en tant que professeur américaine dans une petite ville des Landes. A cette époque, Gene se voit chargée de rédiger un rapport pour l'avocat de
Patricia Hearst, dont le procès doit bientôt s'ouvrir à San-Francisco. Pour dépouiller le volumineux dossier qui lui a été confié, elle s'assure la collaboration d'une étudiante, Violette, qui va comprendre que Patricia n'est pas la victime manipulée que décrivent ses avocats soucieux de ne pas troubler l'ordre établi dans la société américaine et surtout, d'éviter 30 ans de prison à leur cliente. de part sa stature de mentor, son expérience et ses moeurs décontractées, Gene a inconsciemment soulevé un vent de liberté chez Violette (rebaptisée Violaine) qui a été sa secrétaire durant trois semaines. La jeune fille, au contact de cette intellectuelle va remettre en question ses idées reçues qui sont, le plus souvent celles de ses parents. Elle va ouvrir les yeux sur le monde américain idéalisé, mais aussi sur celui qui l'entoure ; en trois semaines, sa vie va basculer. A l'instar de
Patricia Hearst, la jeune fille ne subit pas de « lavage de cerveau », elle fait un choix.
L'auteur prend le parti d'une narration troublante, puisque l'omniprésence de la première personne du pluriel « vous » ne permet pas une identification individuelle, comme si le narrateur faisait partie d'un groupe agissant en tant qu'unité et englobant le lecteur afin, dans un premier temps du récit, d'épouser le profil psychologique de
Patricia Hearst et peut-être aussi, de montrer différentes perspectives sur cette affaire. Au fil de ce récit dont la communication intertextuelle est presque étouffante (retranscription de documents sonores, articles, mots écrits par Patricia), la narratrice permet au lecteur de prendre une place dans la construction du récit quand elle choisit de se dévoiler, moment particulièrement émouvant car il montre qu'un mentor n'est qu'un humain avec ses failles, manipulateur à sa façon. A cet endroit-là, le thème de la liberté s'exprime fortement puisqu'il expose le caractère de Gene et le désir d'idolâtrie, la soumission de Violaine. Ce récit montre l'irrémédiable prix des libertés dans ce récit, entre autre, celui de la solitude : « L'avez-vous vraiment rencontrée, votre assistante, ou l'avez-vous parcourue et estimée en un clin d'oeil tandis que vous dissertiez sur la liberté des femmes ? Bien sûr, en 1975, vous étiez l'adulte, sa supérieure à qui elle ne confiait pas grand-chose. J'ai pour moi l'avantage de ses notes qu'elle m'a confiées et le recul des années passées. J'ai cinq ans et celle qui pour vous s'est fait appeler Violaine est cette jeune femme maigre de presque trente ans qui habite seule avec son chien dans la maison où elle a grandi, en lisière de notre petite ville ».
L'auteur,
Lola Lafon a connu jusqu'à ses douze ans, la politique de Ceausescu quand elle vivait en Roumanie avec ses parents. Plus tard, étudiante et fille au pair, elle a vécu aux Etats-Unis et a pu être confrontée à un autre genre de « lavage de cerveau » (terme repris à ce roman) que celui propre aux pays de l'Est des années 70. En tant que femme, elle a compris qu'il lui était possible de changer de voie, de choisir le type de vie qui lui conviendrait. Comme dans
La Petite communiste qui ne souriait jamais (1974) il est question dans Mercy, Marie, Patty, du corps des femmes aux prises avec la société et la politique.
«Que s'est-il passé après l'écoute de la bande du 3 avril ? A votre injonction déguisée en question -peut-on discuter de Tania plus tard ?-, Violaine a-t-elle gentiment acquiescé ? Y a-t-il eu des excuses de votre part, une promenade en cours de laquelle vous auriez pris le temps d'expliquer ou avez-vous eu recours à une argumentation irréfutable : « chère Violaine, ne pas tout savoir me semblait intéressant pour votre objectivité ».
A-t-elle eu le droit au temps, Violaine, celui de réfléchir un peu, de se demander si elle resterait à vos côtés. Si vous l'avez blessée, elle a choisi de n'en garder aucune trace. Dans son cahier, ce « jour 15 » n'est pas commenté autrement que les autres, ni rancoeur ni ressentiment mais le récit enfantin des éternuements de Lenny quand vous allumez de l'encens, une mention admirative de votre jeans brodé de fleurs rouges et blanches.
A la page du lendemain, elle recopie le discours de Tania Hearst, souligne consciencieusement le nombre de fois où l'héritière emploie la première personne du singulier : « C'est moi qui ai écrit ce que je vais lire / J'espère que vous ne penserez pas qu'on m'a forcée ou manipulée / J'aimerais souligner que je suis vivante et que je vais bien / J'ai pris conscience de pas mal de trucs et ne pourrai jamais retourner à ma vie d'avant / J'ai changé ; j'ai grandi. Et aussi le mot « choix » : On m'a donné le choix / J'ai choisi de rester et de me battre. A peine Violaine fait-elle mention d'une « surprise » : certains termes de Tania l'ont étonnée, ils lui semblent empruntés aux adultes, nucléaire, chômage. On l'a nous aussi le choix de se dévouer entièrement dans un immense désir d'apprendre, conclut Violaine dans son journal la veille de son anniversaire, elle va avoir dix-neuf ans. Au centre de la page, elle a collé une reproduction de la photo de Tania Hearst, un polaroïd qui fait le tour du monde ».
Livre lu deux fois, il m'a fortement interpellé, je vous le recommande.