Ce tome contient une histoire qui s'intègre fortement dans la continuité de l'époque de
Spider-Man, c'est-à-dire celle de 1985/1986. Il comprend les 5 épisodes de la minisérie, initialement parus en 2019, écrits par
Peter David, dessinés par
Greg Land, encrés par Jay Leisten (sauf la séquence dans le passé du premier épisode dessinée par
Iban Coello) et mise en couleurs par Frank D'Armata. Il contient également les couvertures originales de Land, ainsi que les couvertures variantes de
Ron Lim (*4), Alex Saviuk (*4),
Todd McFarlane,
Nick Bradshaw,
Skottie Young, Artgerm.
À l'époque où Peter Parker revêtait un costume noir, d'origine extraterrestre récupéré sur Battleworld pendant Marvel Super-Heroes Secret Wars (1984/1985), il se retrouve devant Mysterio dans un coffre de banque et vient de le mettre à terre, en ayant percé son casque sphérique. Mysterio essaye d'effectuer une tentative de fuite en dispensant un brouillard verdâtre, mais il est tout de suite agrippé par un fil de toile sorti du costume. Peu de temps auparavant, Quentin Beck discutait avec Johnny Ohnn, employé de Wilson Fisk, sur ses accomplissements de supercriminel, ce qui provoquait les railleries de Johnny. Il lui a expliqué comment il comptait dévaliser le coffre d'une banque où sont déposés des titres de valeur. le début du braquage s'est bien déroulé même si la guichetière ne l'a pas vraiment pris au sérieux. Peu de temps après,
Spider-Man (en costume noir donc) est en train de courir sur les toits des gratte-ciels de Manhattan, avec un tableau de maître sous le bras. Il vient de le soustraire à Human Fly (
Richard Deacon) qui le poursuit :
Spider-Man saute d'une tour du World Trade Center à celle adjacente. Human Fly le poursuit et s'apprête à faire un piqué sur son ennemi.
Human Fly descend en flèche sur
Spider-Man, et le rate. Il s'écrase sans grâce sur le toit.
Spider-Man a bondi sur une antenne en hauteur, Human Fly lui crache un liquide visqueux dessus.
Spider-Man esquive et lui enrobe la tête avec une toile. Puis il fait tomber la colonne d'antenne sur Human Fy, s'en servant comme d'une tapette géante. le voleur étant ainsi neutralisé,
Spider-Man enlève la bâche protectrice de la toile et découvre le tableau le cri (1893) d'
Edvard Munch (1863-1944) : il se reconnaît très bien dans le ressenti ainsi exprimé. À la télévision, J. Jonah Jameson dit tout le mal qu'il pense de
Spider-Man, alors que dans son appartement Peter Parker est réveillé par la logeuse tambourinant à la porte et réclamant le loyer. Il lui promet de payer demain sans faute, et se retourne pour constater que Felicia Hardy est rentrée dans son appartement par la fenêtre. Peter se vêtit avec son costume extraterrestre qui le recouvre automatiquement, puis qui passe de la forme du costume de
Spider-Man à celle de ces vêtements civils. Felicia et Peter vont se recueillir sur la tombe de l'oncle Ben. Mais Peter remarque Quentin Beck en train de se recueillir sur une tombe voisine : c'est trop gros pour être une simple coïncidence.
En découvrant ce projet, le lectorat se divise entre ceux qui sont allergique (à l'écriture de
Peter David, au fait de ressasser une situation datant de 3 décennies, aux dessins de
Greg Land, et pourquoi pas au costume noir), et ceux qui voient la même chose mais d'un autre oeil (un bon scénariste, une époque classique et riche, des dessins léchés). Effectivement,
Peter David est un scénariste avec des hauts et des bas, et un nombre impressionnant d'histoires entrées dans la catégorie des classiques, en particulier un bon paquet des épisodes de la série Hulk qu'il a écrite de 1987 à 1998, et de la série
X-Factor. le lecteur sait donc a priori qu'il va plonger dans une époque précise de l'histoire de Peter Parker, alors qu'il avait un tout nouveau costume, mais qu'il ne savait qu'il s'agit d'une entité extraterrestre dotée d'une volonté propre (personne ne le savait d'ailleurs), qu'il vivait dans un appartement minable, et qu'il était en relation avec Felicia Hardy qui ne l'aime que pour sa personnalité de
Spider-Man. Sans en donner l'impression,
Peter David sait rappeler tous les éléments de contexte de l'époque, intégrés dans des discussions, de manière naturelle, y compris la manière dont Hardy a acquis son superpouvoir. S'il a lu les épisodes d'époque, le lecteur est très impressionné par le naturel avec lequel les auteurs reprennent le contexte à l'identique, dans une narration contemporaine. Par exemple, il retrouve le fait que le costume noir aille de lui-même se ranger sur le dos d'une chaise pendant que Peter dort.
Greg Land reprend le visuel à l'identique, avec un dessin agréable à regarder et moins naïf qu'à l'époque, intégrant la référence visuelle sans solution de continuité.
Au vu du titre, le lecteur se dit qu'il va suivre les aventures du costume noir animant le corps de Peter Parker dans des aventures, alors que son hôte est inconscient dans son sommeil. Ça ne se passe pas tout à fait comme ça. Il faut attendre le troisième épisode pour assister à un pareil moment, et même le quatrième épisode pour que le symbiote donne la pleine mesure de son autonomie. L'intrigue repose donc sur les efforts de Quentin Beck pour neutraliser
Spider-Man et se refaire un nom. le lecteur ne retrouve pas toute la dimension tragique de ce personnage, telle qu'elle avait été développée par Kevin Smith &
Joe Quesada dans Daredevil: Guardian Devil (1998/1999). Ici il sert d'opposant avec des jolis effets spéciaux, mais un perdant qui n'est pas vraiment dangereux. Là aussi,
Greg Land & Jay Leisten trouvent un point d'équilibre épatant : le costume vert à carreaux d'un autre âge, et le globe sphérique mystérieux à souhait, avec de magnifiques effets de reflets réalisés par Frank D'Armata, coloriste de haut niveau, qui donne également une belle consistance à cette fumée verte et aux visions qu'elle contient. L'humour s'inscrit plutôt dans le registre d'une comédie de situation sympathique, Beck essuyant les taquineries moqueuses de ses interlocuteurs, et y répondant avec un certain à-propos.
En scénariste chevronné,
Peter David lie les agissements de Mysterio avec le costume noir, donnant une logique interne au récit, en faisant dudit costume une pièce centrale et pas juste un dispositif artificiel sans personnalité. L'auteur sait conserver cette légèreté de ton tout du long du récit, et insuffler de la personnalité aux autres principaux protagonistes. May Parker, Wilson Fisk et Johnny Ohnn ne jouent qu'un rôle secondaire et sont réduits à un simple trait de caractère. L'artiste trouve à nouveau le juste milieu pour eux entre leur représentation vintage et une approche plus tirée vers le réalisme. Par exemple, le lecteur retrouve le foulard violet qu'affectionne Kingpin, mais sans la morphologie exagérée, gonflée à l'hélium. Par contraste, Felicia Hardy est beaucoup plus développée que les personnages secondaires : que ce soit par ses dialogues ou par son rôle. Sans surprise, le lecteur constate le soin avec lequel
Greg Land la représente : une magnifique jeune femme élancée, avec des courbes esthétiques (mais sans aller jusqu'à l'hypertrophie mammaire), une chevelure digne d'une publicité pour une gamme complète de soins capillaires, des tenues chic sans être tape-à-l'oeil, une grâce et une élégance sans pareilles, et une bouche toujours entrouverte sur un demi sourire d'une blancheur éclatante. le lecteur n'est pas dupe de l'emploi de ces conventions esthétiques, mais cela ne les empêche pas d'être efficaces et très jolies. Impossible de rester de marbre quand Felicia dévoile sa lingerie sous son peignoir, au bénéficie de Peter dans sa chambre.
La beauté plastique des pages de
Greg Land doit beaucoup à l'encrage fluide et précis de Jay Leisten qui sait jouer sur les contours des aplats de noir pour donner du poids aux dessins, et pour guider le regard du lecteur. Elle doit également beaucoup à la mise en couleurs de Frank D'Armata qui rehausse avec les reliefs des formes par le jeu des nuances d'une couleur, qui nourrit les fonds de case quand les arrière-plans ne sont pas représentés, qui développe les ambiances lumineuses (verte pour Mysterio, gris métallique pour les locaux de Fisk…), qui ajoute la texture satinée sur la peau de Felicia, etc. Il est bien sûr possible de faire le difficile et de trouver que l'aspect général des planches est trop lisse, ou que les personnages et les environnements sont trop propres sur eux, jusqu'à en être stérile. Mais il est impossible de résister à ces jolis personnages, aux décors consistants, à la bonne humeur ambiante, à la fluidité des mouvements, à la qualité du jeu des acteurs, en phase avec la tonalité de comédie de situation du récit. le lecteur se laisse donc divertir avec bonne grâce, prenant plaisir au savoir-faire des créateurs, à l'utilisation intelligente des éléments de continuité, à un récit de superhéros sortant de l'ordinaire détendu et consistant.
A priori, cette histoire sent le prétexte artificiel et facile pour fourguer une histoire creuse et prétexte sur le seul argument de vente du symbiote (futur Venom) avant que sa véritable nature ne soit connue. le lecteur éprouve des difficultés à résister à la tentation du fait de la bibliographie des auteurs, et grand bien lui prend.
Peter David,
Greg Land, Jay Leisten et Frank D'Armata n'essayent pas de faire croire qu'ils réalisent une histoire qui fera date dans l'histoire des comics, mais ils ne se contentent pas non plus de faire leur pige le plus vite possible. Il en résulte un récit divertissant de très bonne facture et le lecteur compte bien lire la suite réalisée par les mêmes auteurs : Symbiote
Spider-Man: Alien Reality.