Des années folles aux années 2000, nous suivons le parcours d'un jeune gitan andalou, Juan Ortega, dont le milieu familial se consacre surtout à la tauromachie. Lui aussi aura grandi au sein de ce monde coloré et passionné de la corrida. Inutile de chercher la moindre critique sous la plume de l'auteur, tel n'est pas son propos. La polémique pour ou contre la tauromachie n'a pas sa place ici. Juan vit dans une famille très pauvre, d'autant plus en difficulté que le début du 20ème siècle en Andalousie est marqué par une famine redoutable. Alors Juan quitte son pays natal et suit un oncle torero connu,
Ignacio Sanchez Mejias, jusqu'à Madrid, où il lui servira de cuisinier. Car telle est la vocation du jeune Andalou : ravir ses invités et clients via une cuisine élaborée et savoureuse. Son art le conduira ainsi de Madrid à New-York et à Paris.
Il laisse derrière lui deux gros chagrins, deux amours désolés : le sien, pour la séduisante danseuse de flamenco Encarnacion, surnommée la Argentinita, brûlante de ce duende qui est la flamme intérieure de nombre d'Andalous, mais la belle est la compagne d'Ignacio, intouchable donc. Quant à
l'autre grand chagrin d'amour, c'est celui de Carmen, la soeur d'Encarnacion, pour Juan, qui n'en sait rien, totalement aveugle à cette passion d'autant plus ravageuse qu'elle reste secrète.
Au fil du roman, le lecteur suit l'histoire espagnole, le grand espoir de la révolution, de la république de 36, puis la prise de pouvoir par Franco, la fuite désolée des républicains par les montagnes pyrénéennes, et l'accueil désolant, humiliant, offert par la France au camp d'Argelès.
Passant d'une guerre à
l'autre, nous suivons les réfugiés espagnols, devenus combattants pour la France et les Alliés. Là encore, le jour de la Victoire, lamentablement mis à l'écart des troupes françaises qui descendent les Champs-Élysées, menées par Leclerc.
Les personnages historiques apparaissent au fil des pages, politiciens, artistes, révolutionnaires espagnols. Une attention toute particulière est accordée à
Federico Garcia Lorca, sauvagement assassiné en 1936, humilié, par les hommes de Franco, jeté dans la fosse commune au bord de la route, lui, l'immense poète et dramaturge qui aura fréquenté les plus grands :
Rafael Alberti, Bunuel,
Dali et connu ses aînés, ceux de la « Generacion de 98 » faite de Machado,
Miguel de Unamuno, avant d'inspirer de plus jeunes que lui tels
Gabriel Celaya et
Pablo Neruda.
Ce roman est une restitution vibrante de cette Espagne d'avant le franquisme, de la Guerre civile, puis du perpétuel espoir pour les Espagnols émigrés de retrouver leur patrie, un jour. Il faudrait, tant que c'est encore possible, recueillir les témoignages des derniers survivants de cette époque, ceux de leurs enfants aussi.
Un seul reproche (si je peux me permettre!) : une surabondance de mots et expressions espagnols, j'imagine pour afficher une certaine authenticité. Mais trop, c'est trop ! On dirait un travail appliqué pour « faire espagnol ». de surcroît, l'auteure (ou l'éditeur) n'a pas jugé utile de fournir un lexique avec les traductions. Dommage !
Ce livre fut un beau moment de lecture, émouvant, vivant, animé de personnages attachants qui ne tombent pas dans le cliché habituel dès qu'il s'agit de flamenco, de corrida, de passion amoureuse façon gitane.
Et, peut-être l'aurez-vous compris, il réveille de très anciens souvenirs chez une hispanisante qui, via des collègues et amis émigrés venus d'Espagne en 36, a découvert le monde espagnol avec passion et bonheur !