AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de gerardmuller


Pour l'amour des livres
Michel le Bris (1944-2021)
Alors qu'il se réveille dans son lit d'hôpital d'une délicate opération, l'auteur réalise qu'il ne voit pratiquement plus les lettres du livre qu'il vient d'ouvrir, sinon comme des ombres indéchiffrables. Malgré les encouragements du chirurgien, il est désespéré car ne plus voir, c'est aussi ne plus pouvoir écrire comme avant. C'est au cours d'une de ces nuits de désespoir que l'idée de ce livre dédié à l'amour de la lecture et des livres est née.
Pour lui, la littérature a la faculté de nous « reconduire à nos mondes intérieurs dans le temps long de la lecture et le silence gagné sur le brouhaha ordinaire, jusqu'à nous faire approcher le mystère même du langage, qui nous relie aux autres, au monde et à nous-mêmes. »
le premier livre qui frappa l'imagination du jeune Michel fut « La Guerre du Feu « de J. H. Rosny aîné, un livre que nous avons tous lu, « roman des âges farouches », porté à l'écran et que nous n'avons jamais oublié. Il y eut ensuite tous les auteurs de la Bibliothèque Verte (London, Curwood, Peyré etc.) et la Rouge et Or, qui toutes deux composèrent aussi ma première bibliothèque
Michel le Bris nous conte son enfance pauvre et solitaire, même si sa mère sut faire de leur maison sans eau et sans électricité un paradis. Grâce à un instituteur engagé et dévoué qui lui ouvrit sa bibliothèque et le laissa libre de choisir le thème de ses rédactions, il découvrit d'une part la puissance de libération des livres et d'autre part le pouvoir grisant de créer des mondes avec des mots. La lecture et l'écriture.
Puis il y eut « le Bossu « de Paul Féval, Émile Zola, Malraux, Conrad, Melville, Stevenson, avec un très grand et bel hommage à Victor Hugo en particulier. de grands auteurs qui furent ses libérateurs :
« Je n'étais plus seul, simple proie de mes fantasmes, quelque chose d'immense entrait en moi, par eux je touchais au coeur même de ce que mettait en jeu la littérature. »
Puis c'est la passion du jazz largement explicitée ainsi que dans un autre domaine le succès du football :
« Ce terrain de football tant décrié diffère-t-il d'un théâtre antique, la foule dans les gradins jouant le choeur, tandis que sur la pelouse se joue la coïncidence-opposition de la liberté et du destin, de l'individu et du groupe, de l'ordre du système et de l'imprévisible, de l'injustice des dieux et de la volonté humaine, autrement dit se déploie l'espace même du mythe, à l'instar des tragédies d'Eschyle ou de Sophocle. »
Michel le Bris fait montre d'un beau style tout au long de ce livre même quand les sujets sont très philosophiques. Amoureux de la mer, comme tous les bretons, il écrit :
« …Et quand les vagues se déchiraient sur les récifs en longues crinières d'écume… » . Et de citer Alain Gerbault, Conrad et Stevenson.
Michel le Bris est très sensible à la poésie, « ce chant profond qui a traversé l'histoire de l'humanité, a créé, porté des civilisations, fait que les hommes, il y a des millénaires dressaient leurs poèmes de pierre, ornaient les grottes de dessins », et lui consacre une grande partie de son livre. Rimbaud, Hugo, Chateaubriand : les plus grands pour lui.
Un chapitre sur l'univers des librairies de Londres à Bruxelles en passant par Morlaix et Paris. Chercher, trouver et acheter le livre tant espéré « pour en humer l'odeur du papier, caresser la reliure, le ranger sur la table à la maison pour en apprécier l'effet, l'ouvrir, le feuilleter…La librairie peut vous révéler l'unique que nul site de l'Internet ne peut offrir : on peut y trouver ce que l'on ne cherchait pas, ce que l'on ignorait, ce que l'on n'imaginait pas, qui vous surprend, vous ouvre de nouvelles pistes. » Pour l'auteur chaque librairie est d'abord une aventure humaine.
Un clin d'oeil à la science fiction avec Asimov, Sturgeon et Van Vogt, ainsi qu'à Borges l'inclassable.
Et puis la grande question, comment ranger une bibliothèque ?
« À mesure que prolifèrent les livres sur les rayonnages jamais assez nombreux, la lutte vaine de l'ordre face au chaos ! »
Et hélas il y eut des époques où l'on brûlait les livres, ce qui fit dire à Heinrich Heine en 1817 :
« Là où l ‘on brûle les livres, là on finit par brûler les hommes. »
L'épisode anecdotique concernant la publication par épisodes des « Mystères de Paris » d'Eugène Sue à partir de 1842 vaut la peine d'être rappelé, car alors la France entière vécut suspendue à son feuilleton quotidien, la mort De Stendhal passant inaperçue. On raconta même que dans les hôpitaux, des malades attendaient la fin du roman pour mourir. Il y eut même des émeutes dans les librairies. Sue ouvrit la voie à Balzac, à Dumas et Victor Hugo.
L'amour de l'écriture peut aussi avoir son revers : songeons à des écrivains comme Salman Rushdie, Kamel Daoud ou encore Boualem Sensal dont la vie quotidienne est en danger en raison de leur amour de la liberté.
« Face à la barbarie qui menace, les écrivains, même s'ils n'en sont pas nécessairement conscients, sont toujours les gardiens du Feu ».(Référence à « La Guerre du Feu »).
Écrire, c'est aussi se risquer à son propre inconnu dit l'auteur :
« Si par avance vous savez ce que vous allez écrire et vous vous y tenez, à quoi bon perdre votre temps ? »
Il faut se laisser porter lorsque l'on écrit, comme le surfeur sur la vague, laisser les mots et les phrases se déployer orchestrés par la magie du rythme qui doit précéder le sens tout en en étant la condition.
L'amour des livres fait dire à l'auteur :
« Parfois il me semble qu'ils me guettent, m'observent, me retiennent prisonnier…J'ai parfois le sentiment qu'ils m'enveloppent avec tendresse, pour toutes les portes qu'ils m'ouvrirent sur le vaste monde et sur moi-même…Voici bien longtemps que je suis un des leurs. Et qu'entre nous s'est tissée une histoire qui pour moi fut belle…Ils sont tous là, près de moi, qui m'attendent. » Magnifique !


Commenter  J’apprécie          60



Ont apprécié cette critique (6)voir plus




{* *}