Cyber-punk féerique

— Tu as l’air de connaître, tu viens souvent ici ?
Retour de curiosité, et Argyrognome ne se sent pas capable de mentir. Ses pas sont trop assurés pour de simples traversées et démentent sa première théorie au sujet de cet étage.
— Trop à mon goût.
— Est-ce que ça en vaut vraiment la peine ?
L’Odona ne répond pas et presse le pas.
Oui, hurle Argy’ dans l’inconscient de son esprit, bien vite silenciée par le cerveau pas encore complètement grillé qui abrite ses pensées. C’est la pire interrogation, qui force la remise en question, entre acceptation aveugle d’un sort semblable à la mort et horrible réalisation pleinement conscientisée par chaque fae qui s’empresse de l’oublier.
— Parfois.
C’est la plus juste de toutes les réponses, qu’elle murmure avant d’entraîner Mal’Etherre loin d’un groupe un peu trop agité s’efforçant de les inviter. Car elle l’a trop bien compris, au quatrième niveau déjà, que l’humaine n’aime pas ce qu’elle voit – et elle n’a encore rien vu. Pure curiosité, pour lire les abîmes des âmes avant de s’en retourner à ses terres désolées une fois l’avilissement bien étudié. Et qui de mieux qu’Argy’ pour la guider, avec ses yeux sombres parés de reflets verts qui ouvrent toutes les portes, toutes les entrailles ?
Enfin, en face, après un long silence, l’indiscrétion reprend – amenuisée, pas assez motivée, comme pour titiller. Une autre question, posée non plus à la libellule, mais à l’être centenaire.
— N’est-ce pas épuisant de tant avoir à vivre ? N’est-ce donc pas l’ennui qui vous tue à petit feu ?
— Parfois, murmure-t-elle une nouvelle fois. Il nous tuait avant l’exode, et la curiosité nous a rattrapées pour nous pousser sur vos sentiers électrifiés.
— Et tu regrettes, achève l’humaine avec son tu si bien placé.
— Parfois.

Depuis que son ex lui avait arraché l’aile droite sur un
coup de colère, Sonj-Baal courait après les promotions sur
le net et les opérations à l’étranger. Et, accessoirement, après
les indemnisations que cette raclure lui devait. Il fallait dire
qu’une aile de fée se vendait à prix d’or sur le marché noir.
Réduite en poudre, on prétendait qu’elle augmentait l’endurance
sexuelle – un peu comme la corne de ce machin qu’on
appelait rhinocéros. Cette pauvre créature avait connu un
triste destin que les fées rejoindraient bientôt, si les autorités
ne prenaient pas des résolutions drastiques en matière de
protection du Petit Peuple.