Évidemment la réalité est bien différente quand il faut faire la queue aux remontées mécaniques, marcher avec des choses qui n’ont de chaussures que le nom, esquiver les bâtons et les skis des voisins maladroits, éviter les enfants lancés à pleine vitesse sans aucun contrôle. Attendre encore quand l’un d’entre nous a une envie pressante et désire utiliser les toilettes des restaurants sur les pistes. Une épreuve difficile qui exige du sang froid pour descendre les escaliers glissants. Et de l’adresse pour enlever et remettre son énorme combinaison sans lui faire toucher le sol mouillé ou le bord de la cuvette des toilettes, elle aussi mouillée. Pas par de l’eau !
Renaître dans un nouveau corps, forcément jeune ce qui est tout de même plus agréable, est plutôt réservé au monde asiatique. Une théorie sympathique si l’on fait abstraction du fait que le cycle des réincarnations dans n’importe quel organisme vivant est réservé à ceux qui n’ont pas trouvé l’illumination. Il s’agit donc d’une punition destinée au rachat des fautes passées qu’il va falloir payer par l’effort ou la souffrance.
Voici bien des années qu’Émile est devenu maçon. Au début ce n’était pas vraiment une vocation, simplement le hasard. Enfin ?
En réalité le résultat d’une scolarité médiocre et le poids d’une forme d’hérédité, comme si les enfants devaient suivre la route tracée par leurs parents.
« Puisque tu ne fais rien à l’école, tu seras maçon comme ton père. »
Une punition, voire une malédiction !
Depuis quand le métier du père est-il honteux ?
Depuis quand le travail manuel est-il le sort réservé aux mauvais élèves ?
Nous nous sommes aimés comme des fous, du moins au début, ensuite la routine comme tout le monde. Un seul enfant. Gâté. Trop gâté. Il s’est tué dans un accident automobile, écrasé par un chauffard ivre comme lui. Nous avons appris la nouvelle dans les journaux, n’ayant plus aucun rapport avec ce fils devenu un étranger. Il avait claqué la porte lors d’une discussion où nous n’étions pas d’accord, des sottises sans importance quand on y réfléchit. L’orgueil.
Mireille ne s’en est jamais remise.
À sa sortie Alain est devenu Ali et s’est mis à fréquenter la mosquée, écoutant les prêches d’un imam virulent expliquant les bienfaits de la religion et surtout enseignant la haine des infidèles et des croisés.
Il a changé Ali, mais pas seulement dans ses tenues vestimentaires et la pratique d’une alimentation hallal et sans alcool. Ses anciens amis de la cité, ses parents ne le reconnaissent plus. Il passe son temps à prier, à étudier, à essayer de recruter de nouveaux adeptes.