Gabrielle de Miremont est détestable : condescendante, orgueilleuse, moulée d'un seul bloc, monolithique, rien ne semble la toucher, inébranlable vieille bonne femme. Une vie publique dégoulinante de bourgeoisie, une vie privée austère entièrement vouée à Dieu. Toujours impeccable, tailleur sorti droit du pressing, chaussures à talons rutilants, collier de perles à trois rangs. 3, parce que c'est le nombre d'enfants qu elle a portés dans son ventre, sans passion, ni tumultes. 2 filles bien élevées, chéries par leur père, mari plutôt qu'amant, le plaisir de la chair, futile et superflu pour cette femme qui préfère s'élever vers le tout puissant que de tomber en amour. Une mère qui se persuadera que c'est l'esprit saint qui aura ensemencé ce ventre sec dans lequel germera un fils, le fils,
Pierre-Marie. le plus beau jour de sa vie de mère sera l'ordination du fils, qu'elle ne nommera plus que Mon Père…
Lorsqu'un gendarme lui annonce la mort de ce fils cadet, sa plus grande fierté, celle-ci, fidèle à sa conduite, ne vacille pas. Son monde s'est déjà écroulé quelques semaines plus tôt, lorsque le journal local a révélé un scandale pedophile au sein de sa paroisse.
C'est dans l'intimité, dans l'encre déposée sur un carnet matelassé d'or, bleu nuit, qu'un élastique maintient fermé ( au cas où sa si laide confession songerait à se faire la malle ), (sic), que Gabrielle de Miremont fend la cuirasse et s'effondre. C'est dans ce carnet qu'elle nous confiera la vérité crue, ce drame qu'elle a porté dans son ventre (sic).
Dans ses confessions et au contact des quelques rares protagonistes, nous suivrons sa descente aux enfers, la dégradation de ses sentiments, de la colère au déni, puis la culpabilité, cancer meurtrier.
Les mères sont elles coupables des monstres qu'elles ont portés ? Sont elles si aveuglées par l'amour qu'en donnant la vie, elle se refuse de voir le diable en leur progéniture ? Qu'en est-il du seul amour qui même s'il n'est pas partagé ou pas à égalité, qu'il soit trahi ou décevant, reste inconditionnel ? Une mère aimera toujours, toujours, son enfant, la chair de sa chair. de quoi une mère est elle capable par amour pour son enfant ? de quoi Gabrielle de Miremont sera t elle capable pour sauver son fils unique ?
L'écriture de
David Lelait-Helo est d'une réelle intensite, qui m'a laissé sans voix. J'ai terminé ma lecture, les yeux humides, et j'ai finalement aimé cette pauvre femme. Je l'ai aimée avec toute ma compassion. La plume de l'auteur est précise, les mots choisis m'ont bousculée, touchée, meurtrie, j'ai ressenti tour à tour, colère, frustration et finalement non pas de la pitié, mais une sorte d'amour et d'admiration pour cette mère courageuse qui m'a finalement touchée au-delà de la fiction car j'ai lu ce texte comme un hommage à celles et ceux qui osent affronter et dénoncer l'horreur, puisque c'est tellement d'actualité en ce moment…
Aussi, ce week end, lorsque
Clémentine Célarié, siégeant droite, figée sur sa chaise au départ de sa pièce, la lumière filtrant sa silhouette en un halo presque mystique, je me suis retrouvée comme aspirée par mon siège, hapée, plombée dans ses silences, dans l'attente de ce monologue d'une heure et demi. Clémentine pleure sur scène et pleurera presque tout du long. Et nous autres, public, en ferons pratiquement autant. On peine à respirer, on reprend un peu d'air, on le filtre, pour ne pas faire de bruit, on n'ose tousser, sidérés que nous sommes par cette actrice, par ses confidences, ses invectives, ses colères, son mépris, sa culpabilité, son effondrement et peut être au bout du bout, sa propre résurrection…par la naissance d'un autre fils, Adrien de son prénom…
Bon sang, que cette pièce m'a remuée. J'avais le texte encore bien ancré dans mon esprit, et je l'ai trouvé d'une puissance et d'une intensité exceptionnelles dans la bouche de l'actrice. Les mots de
David Lelait-Helo sont redoutables d'efficacité. Et quel beau travail de mise en scène pour faire parler et rendre compte des autres personnages présents dans le livre alors qu'elle reste seule en scène.
À la fin du spectacle, Clémentine nous gardera un moment. Un moment exquis pour nous raconter. Nous raconter combien la veille avait été un jour sans, bah ouais, on n'a pas tous les jours envie de pleurer, surtout après 3 mois de représentations quotidiennes et combien ce soir a été un jour avec. Parce que lorsque la lumière s'est éteinte et qu'elle a pris place sur sa chaise, elle a pris en pleine poire toute l'énergie de la salle, et a su que ce serait un jour avec. Dans le même temps, j'étais aspirée dans mon siège, le souffle court et j'avais déjà cette boule qui gonflait dans la gorge. Probablement ai je senti moi aussi toute cette énergie.
Oui, Clémentine a fait le pitre et nous a amusés avant de sortir de scène, comme s'il lui avait fallu une sorte de sas de sortie, un truc qui la sorte de son personnage avant de vaquer à sa vraie vie. Et je dois avouer que ce moment dans la réalité, ce sas, m'a fait grand bien à moi aussi, j'ai pu passer à autre chose, Mme Célarié m'a permis de ne pas rester hantée par les mots de
David Lelait-Helo, les mots redoutables de Gabrielle de Miremont.
Merci d'avoir écrit ce roman, merci d'avoir prêté vos mots et de m'avoir fait vibrer.