Pierre Lemaître possède indubitablement deux qualités.
Il maîtrise l'art feuilletonnesque, et il a une imagination très fertile.
C'est très utile, quand on se lance comme lui dans une future tétralogie.
Avec «
le grand monde » il réussit à nous brosser le portrait d'une drôle de famille française au sortir de la deuxième guerre.
Il y a les parents – sur qui on ne dira rien pour ne pas divulgacher la surprise de fin de roman.
Il y a Jean, le fils aîné, dit Bouboule, dont on pourrait dire qu'il est un « looser » si cet anglicisme n'était pas anachronique par rapport à l'année 1948 au cours de laquelle se déroule notre histoire. Bouboule, à qui rien ne réussit, a aussi de curieuses manières de se détendre lorsqu'il ressent trop de pression.
Il est aussi doté d'une épouse dénommée Geneviève qui cumule tous les défauts possibles et imaginables : c'est une véritable teigne, qui adore torturer son mari, faire du chantage à sa belle-famille, et dénoncer son employeur en l'accusant de détournement de biens appartenant à des Juifs – un régal de femme.
Il y a François, qui annonce à ses parents qu'il va mener de brillantes études à Paris, mais qui ne rêve que rotatives et ambiance de conférence de rédaction – il sera journaliste rubrique faits divers... et justement il sera bien servi.
Il y a Etienne qui est amoureux de Raymond, parti servir la France en Indochine, et qui va partir lui aussi en direction de Saigon pour y retrouver l'homme de sa vie, mais celui-ci vient de passer l'arme à gauche d'une manière bien peu agréable – et pour Etienne tout va aller de travers dans cette colonie française.
Il y a enfin Hélène, la petite dernière qui voudrait être beaucoup plus vieille que son âge, qui est en colère contre tous – peut-être sauf contre Etienne – et qui va elle aussi frôler la catastrophe.
La famille Pelletier est donc une drôle de famille dans cette période dite des « Trente Glorieuses » qui ne l'est pas vraiment en 1948.
Et puis il y a encore toute une galerie de personnages secondaires, tous plus truculents les uns que les autres.
Mais le plaisir est assuré :
Pierre Lemaître est aux commandes de ce Grand monde et le plaisir est toujours aussi addictif. Très bien documenté (il suffit de lire les pages de sa « dette de reconnaissance » pour en prendre conscience) et toujours aussi habile à maintenir le suspense, l'auteur de «
Cadres noirs » manie parfaitement la plume feuilletonnesque.
Lu pour ma part le temps d'un week-end, je confirme le talent, l'humour, et la verve dont fait preuve un
Pierre Lemaître décidément très en forme.