Un art de coloriste s'était fait jour, étalé, plantureux, grassement flamand, mieux prédisposé qu'aucun autre à refléter la grosse sensualité d'une race qui de tout temps a passé pour aimer la bombance, les festins abondants en victuailles, les gaités de l'alcove. Louis Dubois, dès ses débuts en 1857, s'était révélé par des œuvres nourries où le sentiment de la couleur se marquait dans des harmonies profondes et veloutées. Ses Cigognes, profilées sur un large fond de paysage, sa Roulette, d'une observation physiologique curieuse, son Chevreuil mort, superbement couché dans une solitude désolée, successivement attestèrent sa filiation avec les robustes peintres du XVIIe siècle. Il s'était mis au portrait, à la nature morte, au paysage, gardant dans chaque genre sa rutilance cossue et souvent alourdi par son ampleur même.
L'art français s'était incarné pour les artistes belges dans David et son école. On savait bien que des mains téméraires avaient touché aux colonnes du temple ; Gros avait peint Jaffa, Nazareth et Aboukir ; Géricault, le Naufrage de la Méduse ; Delacroix, le Dante et Virgile, le Massacre de Scio, le Sardanapale. Mais cette variation hardie de la sensibilité ne paraît pas avoir touché l'art du temps en Belgique. Les Salons de l'époque sont sans exemple, en effet, d'une répercussion locale de la grande bataille livrée par les rénovateurs de la peinture en France. Si profond avait été le labour du néo-grec-latin que le soc, en fouillant, n'avait pu trouver d'autres humus où mordre.
Tant d'acharnement se conçoit difficilement aujourd'hui. La main, certes, est grasse, solide et fraîche : Gustaf Wappers s'atteste déjà l'aimable peindre chatoyant qu'il demeurera pour l'admiration de ses contemporains. Mais la toile se guindé d'un naturisme de parade; les personnages ont des têtes d'acteurs; il semble qu'un vestiaire de théâtre ait été mis au pillage pour les costumes; et les faces, les aciers, les velours miroitent sous une lumière artificielle. Wappers, on le pressent, n'aura jamais la couleur dramatique.
Vidéo de Camille Lemonnier