Insulae, tome 1 : La reine des abeilles

La campagne électorale faisait rage, et tout le monde était déjà las des bassesses que s’échangeaient les candidats depuis plusieurs mois. Deux vidéos grivoises avaient potentiellement éliminé les favoris des deux principaux partis, et le troisième candidat en tête des sondages était désormais accusé de corruption. L’annonce était alors sortie de nulle part, comme une mauvaise blague. Le jeune homme, tout juste âgé de vingt-et-un ans, avait été présenté à la tribune divitienne, celle des discours officiels, sans que personne ne sache d’où il venait et comment il était arrivé là. Ses lèvres pulpeuses avaient prononcé les mots avec une confiance arrogante : le vaccin intégral gratuit et pour tous.

Silence. Chuchotements. Chahut. Cris. Acclamations.

Il n’y avait plus que lui. Les autres hommes ne la touchaient plus. Elle savait, dès qu’elle croisait le regard embarrassé de son grand-père Kafgar, que l’homme l’avait réclamée. Elle ne bronchait pas, ne se plaignait pas, n’essayait pas de se débattre. C’était son rôle. Elle avait été conçue dans cet unique but. Elle était le bouc émissaire de sa famille, dans sa fonction la plus primaire, sacrifiée pour la protection des siens.

Elle avait reconnu l’homme. Elle savait désormais pourquoi il était inenvisageable de refuser. Pourquoi son grand-père et son grand-oncle avaient accepté de se détourner d’elle et de la préserver pour lui ? Il était primordial qu’il soit satisfait.

Le visage d’Auroralia, la cadette du clan Dunckenly, avait dû apparaitre des centaines de fois sur les écrans, mais si quelques traits lui semblaient familiers, il découvrait stupéfait l’incroyable beauté sauvage de la jeune femme assise devant lui. L’impertinence de ses yeux comme de ses seins ne se comprenait que lorsqu’on les contemplait réellement. Aucun écran n’avait su traduire l’éclat doré de ses iris félins ni de sa peau hâlée. La grâce de son long cou et de son fin menton ne se découvrait vraiment que lorsqu’ils étaient secoués par son rire hautain. La tristesse domptée de ses gestes blasés avait un charme fou, qu’Hadrianov n’aurait jamais même soupçonné.