Sauve qui peut... chroniques acides d'un secouriste ambulancier

— Il faisait souvent semblant de mourir pour me faire rire ! me dit à mon arrivée une femme forte, d’une cinquantaine d’années, en se tordant les mains, tandis que sa face bouffie, déformée par les larmes, donnait à son visage l’air d’une motte de plasticine oubliée sur un radiateur.

— Que s’est-il passé, madame ? s’enquit le médecin d’un ton circonflexe, appuyant sa question d’un moulinet de la main, tandis que les deux pompiers échangeaient derrière son dos des regards goguenards et entendus.
— Eh bien voilà, docteur: nous étions installés devant le poste, gémit-elle, en désignant de son triple menton la télévision qui fonctionnait toujours, et il venait de manger toute une casserole de goulasch, qu’il adore, car je la fais très bien...

— Oui, et ensuite ? coupa le médecin avec une imperceptible moue d’impatience, faisant tourner son index sur le plan horizontal pour l’inciter à continuer.

— Il est tombé! Boum! Comme ça! Alors, naturellement, j’ai continué à regarder le poste sans lui prêter attention !

— Naturellement, fit le médecin, à défaut de pouvoir dire quelque chose d’autre.

— Et puis je lui ai dit: «Willy!?"

— Ah ! Il s’appelle Willy ! déduisit aussitôt le médecin avec une certaine perspicacité.

— Oui. C’est son prénom. Comme il ne bougeait pas, j’ai encore regardé le poste pendant une minute ou deux, puis je lui ai dit : « Willy, s’il vous plaît ! » Comme il ne bougeait toujours pas, j’ai continué à regarder la TV pendant un petit instant. Puis je l’ai de nouveau regardé... et il était tout mauve ! conclut-elle en éclatant bruyamment en sanglots.