Les orageuses

Dix plumes pour un recueil de nouvelles de fantasy qui porte bien son titre, Les Orageuses.
Dix héroïnes aux personnalités fortes, sensibles, courageuses, qui nous entraînent chacune dans un univers bien distinct. Un voyage en dix étapes fort plaisantes à lire, certaines poétiques ou sanglantes, d'autres déjantées ou gourmandes, aucune ne laisse indifférente.

Fils de l'orage, de Charlotte Munich : Attention ! Vous risquez de finir la lecture de cette nouvelle avec un mal aux abdos … à force de rire ! Dans ce récit, Aliénor vit une nuit d'Halloween rocambolesque en pleine bataille entre des demi-dieux, fils de Zeus et fils de Thor, pendant que son chat Belphégor n'en fait qu'à sa tête et que d'autres complots sont ourdis. On se laisse prendre au jeu, et à l'humour !, avec délectation. J'ai juste un petit bémol pour la dernière réplique, que j'ai trouvée un peu trop guimauve et qui, à mes yeux, n'apportait rien de plus. Quoi qu'il en soit : un bon moment de lecture garanti !

Poussière d'étoiles, de Éva de Kerlan : Une constellation, un cheval ailé mythique, des recherches scientifiques, la quête suprême de la liberté dans une nouvelle portée par une plume très poétique. Sans grande tension dramatique – et cela peut dérouter certains lecteurs, ce récit se lit comme on glisse au fil de l'eau sur un radeau, en se laissant transporter dans le riche univers onirique de l'autrice.

(Im)pulsion, de C.C. Mahon : Changement de genre radical, avec une nouvelle pleine de suspense et de tension dans laquelle Nour, une super hackeuse aux tendances Robin des bois, est confrontée à d'étranges – et horribles ! – changements chez son petit ami, jusqu'à mettre sa vie en péril. Un récit qui se lit en un seul souffle parce qu'on est tant captivée qu'on en oublie de respirer, ha ha ha ! La fin … brrrr … frisson dans le dos assuré !


Le souffle du dragon, de Lyly Ford : Ici, on retrouve un univers de Fantasy médiévale plus classique avec princesse et dragon. Mais quand ladite princesse refuse d'assumer son destin en pensant sauver ainsi son royaume et qu'au contraire, cela mène à sa destruction, Luna devra partir en quête de sa rédemption jusqu'à accepter ses propres pouvoirs magiques. J'ai quelque peu regretté que les épreuves de sa quête ne soient pas plus épiques, mais nul doute que les fans de l'actrice y trouveront leur compte !

Origine, de Virginie T. : Dans une société effrayante et totalitaire dirigée par un mystérieux Cole McKinley, Chrissy, orpheline élevée en foyer, fait tout pour survivre et enquêter sur ses origines. Elle pense ne jamais pouvoir accéder à son histoire lorsqu'une nuit, tout bascule. Sauvée de justesse d'une mort certaine, elle se retrouve propulsée dans un camp de métamorphes très spéciaux et par-là même plongée au coeur de sa propre vérité. L'ambiance de cette nouvelle est bien amenée, avec une touche d'humour, et j'ai apprécié également le noeud de l'intrigue et son déroulé. Mon bémol : dans cette narration à la première personne, j'avais plus l'impression d'avoir affaire à une jeune femme de 20-22 ans que proche de la trentaine, et j'ai trouvé le dénouement un peu trop rapide à mon goût. Cependant, l'univers est bien construit et j'ai aimé le mélange fantastique avec science-fiction un brin cyber punk.

Les mondes oubliés, de A.D. Martel : La seule des nouvelles du recueil qui ne relève pas du genre Fantasy, et pourtant elle s'intègre très bien à l'ensemble. D'une part grâce à l'héroïne, Nalianna, qui montre indéniablement tous les critères d'une jeune fille de caractère, d'une … Orageuse ! D'autre part, grâce à cette ambiance très bien rendue de mystère et de malédiction à la découverte de momies égyptiennes sur un chantier de fouilles archéologique.
Le style est agréable et maîtrisé, et cependant à mes yeux, c'est le point faible du récit, car il ne colle pas à la narratrice : trop recherché pour une enfant de 11 ans, surtout avec l'emploi du passé simple à la première personne.
La chute, tout à fait surprenante, est digne des grandes nouvelles classiques et j'ai beaucoup apprécié l'originalité de l'idée, ainsi que le propos final sur les femmes reléguées au salon en faisant fi de leurs talents et aspirations.

Le Mal, de Frédérique Arnould : Une nouvelle fantastique qui nous transporte dans les méandres de la mémoire déformée et d'une malédiction. Eireann réussira-t-elle à passer le cap de son aversion et de sa haine pour son beau-père afin d'assister aux funérailles de sa mère ? Et pourquoi sa soeur et tout le village semblent-ils attendre d'elle quelque chose de spécial ? Malgré quelques redites et longueurs, les ambiances sont bien rendues, la touche de romance est sympathique, l'intrigue intéressante, et le suspense bien organisé.
Je me suis questionnée sur le lieu de l'action : pourquoi la Bourgogne alors que les personnages – Eireann, Maiwen, Audran – ont des noms à consonance bretonne, celte ?


Orage et Sang, de Mariann Helens : La nouvelle la plus sanglante du recueil ! Mais quelle nouvelle ! Sombre, mystérieuse, pleine de tension, elle se lit en tournant les pages avec fébrilité. J'ai très apprécié le choix de l'autrice quant à la construction chronologique du récit : cela apporte indéniablement un « plus » à l'intrigue que d'avoir éviter une narration linéaire. Pour pouvoir vivre à la grande nuit, sauver son grand amour, et permettre à son peuple de retrouver sa liberté, jusqu'où Suzon est-elle prête à aller ? Sans aucun doute jusqu'à pactiser avec le diable …


Foudre mystique, de Mélanie Dufresne : La nouvelle la plus gourmande, et cela n'a rien d'étonnant lorsqu'elle est signée par Mélanie ! Quel plaisir de continuer à naviguer dans le riche univers de Fantasy urbaine que l'autrice déploie avec habileté depuis quelques années autour des contes et légendes du patrimoine québécois. Cette fois-ci, on retrouve la Louve Sorcha qui doit résoudre un dangereux mystère : l'occasion de nous initier à certains aspects de la culture autochtone de la région de Québec et de révéler les blessures psychologiques de cette Louve excentrique qu'on aura plaisir à revoir dans la saga La coureuse des grèves. Cette nouvelle-ci nous offre notre content de batailles entre métamorphes, esprits et enchanteresse, et se déguste à pleines pages, comme on croque à pleine dents dans le moelleux d'un grand-père à l'érable !


La sorcière aux chats, de Cécile Ama Courtois : chez les Orageuses, refuser son destin coûte très cher ! Pour la petite Kharyne, c'est le bannissement de chez elle et de sa famille. Sa survie, en plein hiver et dans la forêt hostile, elle ne la doit qu'à sa pugnacité et aux chats qui la rejoignent et l'adoptent. À cause de sa différence, elle se fait chasser de partout et traiter de sorcière. Est-ce que ses dons seront à jamais un malédiction ou finira-t-elle par trouver une place au sein d'une nouvelle famille ?Le déroulé du propos sur la différence est bien établi, mais comme pour la nouvelle d'A.D. Martel, j'ai déploré le choix d'une narration à la première personne et au passé simple qui ne cadre pas avec l'âge de l'héroïne. Un récit au présent aurait été préférable. L'autrice a bien su créer un univers envoûtant dans son récit, et l'on suit avec intérêt les pérégrinations de cette enfant pas comme les autres qui pourtant cherche ce que tous les autres enfants veulent : une famille.