Quelle expérience ébouriffante que ce roman. Je ne m'attendais pas à pénétrer un univers aussi sinistre et implacable en débutant «
Les garçons de l'été. » Dès les premières pages, on est jeté dans l'horreur :
Rebecca Lighieri ne nous ménage pas et nous plonge dans son histoire sans même nous laisser le temps d'une inspiration. C'est pétrifiant mais passionnant.
Sans révéler précisément de quoi il s'agit, le roman s'ouvre sur un drame qui va profondément abîmer le corps du superbe et arrogant Thadée. Dès lors, tous les personnages qui l'entourent basculent, chacun à leur manière, dans un chaos d'incompréhension, de chagrin et de colère. C'est une chute radicale, enragée et lugubre.
Parce que le jeune homme que la vie a mutilé n'est pas n'importe qui : Thadée, le sublime fils aîné, adoré et encensé par sa mère, contemplé telle une oeuvre d'art, admiré et courtisé par l'essaim de filles qui grouille sans cesse autour de lui. Thadée qui soudain se retrouve amoindri, saccagé, lâchement abandonné par son exceptionnelle beauté.
Rebecca Lighieri choisit le roman choral et laisse s'exprimer tour à tour les personnages concernés de près ou de plus loin par le drame : Thadée bien sûr, Zachée et Ysé, son frère et sa petite soeur, les parents Mylène et Jérôme, ainsi que Cindy, la petite amie de Zachée. J'avoue avoir été dès le début exaspérée par Mylène. C'est une femme insupportable, toujours prête à critiquer le moindre détail qui l'entoure, odieuse et méprisante.
Mais plus on s'enfonce dans la lecture et plus on réalise qu'elle est bien loin d'être la seule à se montrer injurieuse, malsaine et vile. Dans tous les coins ça dissimule, ça médit, ça trompe, ça trahit. Écoeurante cette soi-disant famille dont aucun des membres ne dévoile son vrai visage. On se retrouve piégé au milieu de ces êtres infâmes, enserré par mille masques et déguisements, cerné par l'hypocrisie, le sadisme et la vanité répugnante.
Rebecca Lighieri est divinement cruelle avec ses personnages, elle dénonce avec détermination, rudesse et effronterie. Ça cogne où c'est sensible, ça pique où c'est fragile. Et c'est jubilatoire. Terrible, cruel, mais grandiose. A aucun instant le roman ne chavire dans le pathos, c'est mordant, affûté, de la première page à la dernière.
Si la blessure terrible de Thadée constitue le point de départ de l'histoire, ce n'est pas pour autant un roman sur le handicap – du moins, je ne l'ai pas ressenti de cette façon. J'y ai davantage vu un roman sur la culpabilité, ce poison perfide qui relie les êtres, sur les coups que la vie vous assène lorsque vous vous égarez sur des chemins sordides. C'est un roman sur le désir lorsqu'il prend toute la place, sur les pulsions pernicieuses qu'on renferme en soi, sur la violence sournoise. Il y a en effet beaucoup de violence dans ce roman. Mais une violence nécessaire au message que tente de faire passer l'auteur. Elle choisit de dénoncer dans les coups, les insultes, le sang et les larmes.
Étonnamment j'ai beaucoup aimé le panorama qui enserre le roman, ces décors d'océan et de sable brûlant, et puis le surf, évidemment, auquel je ne connais rien mais qui m'a à la fois intriguée et fascinée. J'ai eu envie de m'y intéresser d'un peu plus près, d'aller découvrir ce langage ésotérique à mes oreilles et ces fameuses figures dangereuses et aériennes qui scandent le texte. Ces jeunes aux cheveux blondis par la mer et aux peaux brulées par le soleil, je les ai vraiment vus sur leurs planches. C'est un texte extrêmement visuel ; j'avais presque la sensation d'être lovée dans un fauteuil dans une salle de cinéma.
Le léger bémol que j'ai à apporter concerne la plume : elle ne m'a pas séduite, je l'ai même parfois trouvée inélégante, mais je dois avouer qu'elle est parfaitement adaptée aux caractères des personnages et aux paysages qui emplissent le livre : moderne et gorgée de cynisme, sans détails superflus mais vive, volontaire et ardente. L'écriture de
Rebecca Lighieri est une écriture de la jeunesse qui vibre et brasille, de l'intensité qui charpente cette époque de la vie. C'est une écriture qui pulse, qui gueule, qui embrase le sang à nos poignets. Au fond, un style bien plus raffiné aurait dissoné avec le texte. C'est un roman qui parle comme on vit lorsqu'on a 20 ans.
Et puis au fond j'ai croisé de très beaux passages, des paragraphes ébouriffants aux élans lyriques et puissants. Cindy, par exemple, nous offre des pages absolument sublimes lorsqu'elle nous raconte l'homme qu'elle aime.
«
Les garçons de l'été », ce sont finalement deux frères qui se démolissent jusqu'au point de non-retour. C'est un roman sur l'extrême beauté, la suprématie de l'apparence, l'orgueil, et les vices qui les escortent souvent. C'est un roman qui nous raconte l'amour désaxé comme l'amour sincère et lumineux, la tyrannie, la rivalité destructrice, la vengeance, et la mort bien sûr. Ça se tient en équilibre subtil entre le roman noir et le thriller, ça vous enfonce dans des abysses aux opacités prodigieuses, ça vous laisse K.O., empoisonné, effaré.
Le talent de
Rebecca Lighieri, c'est la deuxième gifle lorsqu'on se remet à peine de la première. de souffrances en tourments, de colères en détresses, on finit par basculer vraiment dans le malheur pur. C'est sordide, monstrueux, glaçant. J'ai dû étirer ma lecture tellement je l'ai trouvée pesante et dérangeante, mais de façon paradoxale c'est cette pesanteur qui m'a plu et fait la richesse du roman.
Même si je n'ai pas vraiment adhéré à la fin que j'ai trouvée un peu trop invraisemblable, je garde un souvenir détonant de cette lecture qui dénonce les sournoiseries clandestines qui pourrissent de nombreuses familles et punit la vanité démesurée en la mutilant.
Rebecca Lighieri a voulu écrire un roman acide sur le lien très étroit qui relie l'amour à la haine. Elle y est parvenue avec habileté et stridence. On a même l'impression qu'elle a presque pris un malin plaisir à torturer ses personnages les plus abjects. Ça suinte la malveillance, la répulsion et l'immoralité.
« Chacun sera dans sa nuit pour toujours » écrit-elle à travers Cindy. Un roman diabolique, très sombre, très percutant. Un grand merci aux éditions Folio pour m'avoir permis de le découvrir avant sa parution en poche le 4 avril.
[Chronique complète avec citations et lien sur mon blog]
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