Certains sèment des cailloux pour retrouver leur chemin, d'autres égrainent des rimes dans leur course*,
Françoise Lison-Leroy, elle, nous invite à faire rimer et ricocher ses cailloux.
Raphaël Decoster, lui, s'amuse à leurs donner forme et à jouer avec leurs textures. Dès lors, en ouvrant ce carnet d'art, c'est à une aventure à la fois poétique, tactile**, visuelle et auditive que nous sommes conviés.
En effet, cet objet familier dans lequel on bute, pour beaucoup chaque jour, ou que l'on ramasse sur le sable, devient prétexte à poétiser et se transforme à la fois en « objeu » et en « objoie »***. Les cailloux deviennent musiciens, polissons ou encore mariniers. Ainsi, il s'agit à la fois de mettre l'objet en jeu, et donc de le faire « circuler », pensons à la rotondité du cailloux bien souvent, et de mettre, si j'ose dire, du jeu et du je, dans l'objet lui-même, puisque, de l'aveu même de l'autrice, nous savons qu'elle les collectionne. le tout nous procurant de la joie, et/ou des souvenirs, tout en nous invitant à nous interroger sur notre rapport à cet objet monde.
Un rapport sensible où l'autrice disloque le quatrain**** et embrasse les rimes comme pour mieux nous rappeler la singularité de tout objet qui jubile et communique avec son possesseur, s'inscrivant dès lors dans la veine du
Parti pris des choses tout en s'en détachant par sa forme versifiée (heptasyllabes principalement), et où l'illustrateur qui, pour éprouver que la pierre est de pierre, fait de l'art en parvenant à donner une sensation de l'objet***** grâce à une technique singulière faite de traits au stylo bille tracés à la règle ou encore de gravures sur pierre.
Ainsi, sous la forme A4 d'un carnet d'art, les artistes nous offrent une oeuvre d'une très grande délicatesse, atypique, sensible et poétique, où ricochent mots et images à l'unisson, et où métrique et geste mécanique nous livrent les secrets de cet « objeu-objoie » que l'on fait rebondir sur l'eau ou qui emplit nos poches ou nos bocaux et conserve nos souvenirs ******
Chapeau les artistes !
* le Petit Poucet et « Ma
bohème »,
Rimbaud.
** À noter, la 1ère de couverture où le caillou est en relief et les feuilles de papier calque insérées dans l'album qui ajoutent à la poésie de l'ouvrage.
*** mots valise, néologismes créés par
Francis Ponge. Cf. «
Le parti pris des choses ». On pourra également établir un parallèle avec les derniers mots du recueil avec la notion de jeu, donc objeu, puisque le lecteur est invité lui-même à
**** comme « ce grand niais d'alexandrin ». Cf
Victor Hugo. L'autrice propose ici des quatrains sous une forme non conventionnelle : 1 vers isolé sur une page, 3 autres vers sur la page suivante. 1+3=4. Rimes embrassées.
***** pensons notamment au papier calque proposé dans le carnet qui ajoute à la poésie des mots et de l'objet lui-même en tant qu'« objoie ».
****** clin d'oeil au roman
La variante chilienne de
Pierre Raufast.