La lecture de ce pavé de 900 pages en petits caractères dans l'édition papier originale, aux rares alinéas (les dialogues eux-mêmes sont enchaînés), aux nombreux mots allemands non traduits, notamment les grades et les sigles militaro-policiers, ce qui ne facilite pas la compréhension instantanée du texte pour les non-pratiquants de la langue de
Goethe (l'éditeur a opportunément ajouté un glossaire à la fin du livre), nécessite une certaine opiniâtreté. D'autant que le fond n'est pas moins âpre que la forme est rébarbative : Max Aue, jeune docteur en droit, nazi bon teint, y raconte par le menu, et ce n'est pas une formule en l'air, ses années de guerre en tant qu'officier SS, principalement à l'Est, de l'invasion de l'URSS au début de l'été 1941 aux derniers jours d'Hitler fin avril 1945. Même si personnellement il n'a tué que trois ou quatre individus, ses fonctions l'ont obligé à prendre part, sans entrain mais sans affres excessives non plus, à la mise en oeuvre de la Solution finale. Aucun détail ne nous est épargné sur les exterminations en Russie ou, plus tard, sur un mode plus industriel, dans les camps de concentration. Chronique minutieuse d'une aberration de l'Histoire, ce roman est également une peinture "chirurgicale" des égarements érotiques, pornographiques, scatologiques, réels ou rêvés, du narrateur. Là aussi, une certaine dose de distanciation se révèle nécessaire. Dans ce ciel uniformément plombé, un mince rayon de soleil parvient à percer vers le milieu du livre et jusqu'à la fin, par intermittence : un binôme de policiers obstinés et retors questionnent Max à de multiples reprises au sujet du mystérieux assassinat de sa mère et de son beau-père ; leur technique d'interrogatoire à deux voix alternées fait irrésistiblement penser au discours des Dupont-d, même si physiquement ils ressemblent plutôt à Laurel et Hardy.