1865 : l'arrivée des immigrants chinois dans l'Idaho comme un conte moderne de la Chine ancienne. Et la cuisine en mode royal d'épreuve de l'altérité.
Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2023/01/17/note-de-lecture-
toutes-les-saveurs-ken-liu/
1865 : alors que la petite ville d'Idaho City vient d'être ravagée par un terrible incendie causé par des bandits du coin, une petite troupe d'immigrants chinois débarque, attirés par les perspectives des mines d'or que l'on pourrait trouver dans la région. Surmontant le racisme automatique, la méfiance xénophobe et les préjugés déjà bien enracinés, un père et sa fille, puis, quelque peu à contrecoeur, sa mère, découvrent ces êtres humains étrangers et leur culture, leur musique, leur cuisine, leur jeu du wei qi (que les Japonais appellent le go) et leurs contes et légendes – d'autant plus que l'un d'eux, Lao Guan – américanisé en Logan (pas de rapport a priori avec Wolverine) – présente plusieurs particularités qui le font bizarrement ressembler à Guan Yu, le mythique dieu chinois de la guerre. Alors même que la bande qui rançonne la région au gré de ses envies, de ses beuveries et de ses folies n'a peut-être pas dit son dernier mot, et le système d'exploitation capitaliste en cours d'implantation, encore moins…
Discrètement sous-titrée « Un conte de Guan Yu, le dieu chinois de la guerre, en Amérique », pour nous mettre en éveil au cas où, cette novella de 2012, traduite en 2021 par
Pierre-Paul Durastanti dans la belle collection Une heure-lumière du Bélial', nous prouve une fois de plus le talent de conteur redoutable et toujours inventif dont semble disposer, comme en se jouant,
Ken Liu. – dont on avait tant apprécié ici, notamment, le recueil «
La ménagerie de papier » et la novella «
L'homme qui mit fin à l'histoire ». Pratiquant ici son art à mi-chemin entre le western revisité avec ressort intérieur à découvrir (on songera sans doute de ce fait au magnifique «
Faillir être flingué » de
Céline Minard) et la possibilité du fantastique (le superbe «
L'impératrice du sel et de la fortune » de
Nghi Vo n'est pas toujours si loin), c'est pourtant aux récits historiques enjolivés, aux jeux de stratégie et, surtout, à la cuisine, qu'il donne la jolie mission de surmonter la méfiance et de célébrer la curiosité de l'altérité, en beauté éventuellement rugueuse. Pour s'affranchir de l'éternelle puissance péjorative du bruit et de l'odeur pour les mal-lunés permanents, ce sont les goûts spécifiques de certaines cuisines (comme l'évoquent si magiquement la
Ryoko Sekiguchi de «
L'astringent » et si stratégiquement le
François Jullien de «
Éloge de la fadeur », par exemple – et comme le récit de la découverte par Lily du mapo doufu – 麻婆豆腐 – ci-dessous en témoigne) qui affirmeront leur puissance résolue et inattendue.
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